LIVRES - Quatre auteurs et leurs nouvelles

Fragments de vies

Publié le 27/11/2012
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ÉCRIVAIN à casquettes multiples – romancier, dramaturge, essayiste –, Éric-Emmanuel Schmitt se distingue aussi comme nouvelliste. Après « Odette Toulemonde » et « la Rêveuse d’Ostende », « Concerto à la mémoire d’un ange » lui a valu en 2010 le prix Goncourt de la nouvelle. Dans cette lignée paraît « les deux Messieurs de Bruxelles » (1), un recueil de cinq textes, dont le premier, le plus long, donne son titre au livre.

Tout part d’une image : Laurent et Jean, cachés derrière un pilier de la cathédrale Sainte-Gudule, où se déroule un mariage en grands fastes, s’unissent en secret et prononcent les mêmes vœux de « fidélité et assistance » que Geneviève et Eddy. Les deux couples ne se connaissent pas mais les hommes vont, d’année en année puis de décennie en décennie, suivre toujours secrètement l’évolution du couple officiel. La question, bien sûr, est de savoir si l’amour légitime, encouragé par la société, a duré aussi longtemps que l’amour illégitime. La réponse, dans cet exemple, est évidente. Le récit des aléas de la vie, qui n’épargnent ni les uns ni les autres, est surtout l’occasion pour l’auteur d’installer le thème de ce livre de nouvelles : les vies virtuelles qui composent le fond d’une vie réelle.

Un vieil homme, le médecin d’un bourg, qui est resté fidèle au même type de chien toute sa vie – toujours un beauceron, toujours appelé Argos – ; une veuve dans le besoin et flanquée de deux garçons qui parvient à se faire entretenir puis épouser par un baron danois mais rage que celui-ci soit plus séduit par la musique de son défunt mari que par ses charmes ; une femme qui préfère le fils de sa sœur, gravement malade, au sien, jusqu’au moment où celui-ci meurt dans un accident et qu’elle soupçonne qu’on lui a pris son cœur pour le greffer sur son neveu ; et un couple qui met fin à ses rêves d’enfant au prétexte que le fœtus avait la mucoviscidose et qui, vingt ans plus tard, est sauvé d’une mort certaine par une jeune fille atteinte de la mucoviscidose. Autant de situations qui parlent de l’amour sous toutes ses formes et qui dépassent à chaque fois les apparences.

Louise Erdrich primée.

L’écrivaine américaine aux origines indiennes Louise Erdrich – l’auteur de « Love Medicine » et de « la Malédiction des colombes » – est en pleine actualité. Alors qu’elle vient de recevoir le prestigieux National Book Awards, pour son dernier roman, « The Round House » (la folle enquête, dans la réserve indienne du Dakota du Nord, d’un adolescent de 13 ans, pour faire la lumière sur l’agression dont sa mère a été victime), paraissent simultanément en France un roman et un recueil de nouvelles.

« Le Jeu des ombres » (2) est un roman tragique, le portrait féroce d’un mariage qui s’effrite, d’un couple et d’une famille qui se disloquent, d’un homme et d’une femme qui s’affrontent dans un face-à-face impitoyable ; une guerre psychologique sans merci que Louise Erdrich met en scène de façon littéraire en faisant alterner les deux journaux intimes que tient l’épouse – celui que son mari lisait en cachette et qu’elle continue à écrire de manière à s’en servir comme d’une arme contre lui, et un second où elle se dévoile totalement – et un récit à la troisième personne. L’impact est total.

On s’intéresse d’autant plus à la publication du recueil « la Décapotable rouge » (3), qui réunit 19 nouvelles parmi celles que Louise Erdrich a publiées dans des prestigieux magazines américains pendant trente ans. Rassemblés pour la première fois, ces textes sont l’occasion d’apprécier le travail de l’écrivaine sur une longue période et d’y retrouver la genèse de son univers livresque, tout ce qui concerne en particulier le monde indien.

La décapotable rouge dont il est question dans la nouvelle éponyme est une vieille Olds que se partagent, en 1968, le narrateur et son grand frère ; ayant demandé à s’enrôler, l’aîné est incorporé dans les Marines : « On aimait se moquer de lui en disant que l’armée le voulait pour son nez indien. Il avait un grand nez aussi effilé qu’une hachette, pareil à celui de Red Tomahawk, l’Indien qui a tué Sitting Bull. » Après deux années au Vietnam, plus personne ni rien, même la décapotable, ne pourra sauver le garçon revenu complètement brisé.

Au cœur des terroirs.

Auteur en 2008 du best-seller « Mange, Prie, Aime », qui racontait la quête spirituelle d’une femme à travers l’Italie, l’Inde et l’Indonésie (paru dans plus de 30 ays et adapté au cinéma), Elizabeth Gilbert nous entraîne, avec les douze nouvelles de « Désirs de pèlerinages » (4), dans un autre voyage ; cette fois à travers l’Amérique profonde, du Wyoming au Texas et au Minnesota, mais aussi à New York. L’ouvrage est sorti aux États-Unis en 1997 et ce périple magnifié par l’imagination de l’auteur, lui est l’occasion de brosser des portraits originaux, issus de rencontres avec des personnages aux origines et aux passés variés.

Le terrain de prédilection de Michael Christie, dont le premier livre « le Jardin du mendiant » (5), a été classé au Canada parmi les meilleurs livres de l’année 2011 et récompensé par le Vancouver Book Award, est la ville. Ce jeune auteur de vingt-huit ans originaire de Colombie-Britannique, s’est inspiré en partie de son expérience dans le domaine social pour mettre en lumière les solitudes de l’homme moderne en milieu urbain, quels que soient ses origines et son milieu. Les pauvres, les drogués, les fous, les suicidaires, les sans-abri partagent la même détresse que les plus nantis, qui peuvent à leur tour tout perdre. Autant de situations tragicomiques décrites avec sobriété et sans aucun sentimentalisme.

(1) Albin Michel, 220 p., 20 euros.

(2) Albin Michel, 252 p., 19 euros.

(3) Albin Michel, 413 p., 22,50 euros.

(4) Clamnn Levy, 350 p., 18,50 euros.

(5) Albin Michel, 305 p., 21,50 euros.

MARTINE FRENEUIL
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Source : Le Quotidien du Médecin: 9196