Une princesse de bon goût
Les films français se suivent et ne se ressemblent pas, c’est le propre de tout bon festival. Aux strip-teaseuses baroques de Mathieu Amalric succèdent les princes et princesses aux belles manières – sauf dans la guerre et la chasse – de Bertrand Tavernier, avant les moines martyrs de Xavier Beauvois.
Après la Louisiane de « Dans la brume électrique », le cinéaste avait une « envie viscérale de (se) plonger dans un film profondément français ». La nouvelle de Madame de La Fayette, adaptée avec Jean Cosmos et François-Olivier Rousseau, lui en a fourni l’occasion ainsi que la matière d’ « une histoire d’amour lyrique et ample ».
Moins connue que la princesse de Clèves, « la Princesse de Montpensier » met en scène de très jeunes gens au XVI e siècle, alors que les guerres de religion font rage. Le duc de Guise, dont l’innocente Marie est amoureuse, le prince de Montpensier, auquel son père l’a mariée par intérêt, le duc d’Anjou, futur Henri III, n’ont pas 25 ans et déjà des années d’expérience de la guerre. Quand le prince doit repartir guerroyer, la toute nouvelle épousée est confiée aux bons soins du comte de Chabannes, un homme plus âgé, qui a cessé de combattre par horreur des massacres. Mais son chemin croisera à nouveau celui de Guise.
C’est ainsi en empathie avec deux personnages que se construit le film. Marie, bien sûr, qui cherche à oublier son premier amour et à élargir son horizon en s’instruisant, ce qui n’était pas chose usuelle pour une femme, à l’époque. Et Chabannes, qui va lui apprendre les astres et la poésie, entre autres.
Tavernier filme avec panache les chevauchées, les combats et les duels, et les escarmouches en paroles, non moins importantes, dans des décors bien choisis. Tous les acteurs jouent avec naturel, pas du tout écrasés par le poids de l’Histoire. Mélanie Thierry a la fragilité brûlante qu’exige son rôle, Lambert Wilson la maturité sage, Gaspard Ulliel, Grégoire Leprince-Ringuet et Raphaël Personnaz la vigueur et l’impulsivité voulues.
Du travail bien fait, comme celui du cinéaste, qui livre, en un peu plus de deux heures et quart, un film en costumes qui fait oublier qu’il est en costumes, histoire intemporelle de passion, de rivalités et de l’impossibilité de maîtriser son destin. (Sortie le 10 novembre)
Le combat d’un homme
« J’ai été tellement fatigué de faire le tour du monde pour "Babel" que je m’étais promis que mon prochain projet serait moins complexe, avec un seul lieu et un seul personnage central », explique Alejandro González Iñárritu. Un seul lieu, certes, ou presque, Barcelone, dont on ne voit d’ailleurs que quelques rues des quartiers pauvres, mais une complexité non moins grande et, d’ailleurs, le cinéaste mexicain ajoute que « Biutiful » a été aussi difficile à faire que ses autres films (outre « Babel », « Amours chiennes » et « 21 grammes »).
Biutiful, c’est ainsi que la fille du héros écrit le mot anglais. Rien, pourtant, n’est très beau dans l’univers de l’enfant et de sa famille. Malgré les efforts du père. Cet homme, qui côtoie souvent la mort, car appelé pour écouter les voix des défunts, est très malade. Il veut protéger ses enfants, lui qui n’a pas connu son père et dont l’ex-femme souffre de troubles bipolaires. Il veut aussi ne pas laisser tomber les clandestins auxquels il assure un travail, vivant lui-même de cette activité douteuse d’intermédiaire.
Uxbal, ainsi se nomme-t-il, est ainsi au centre du film, on ne le quitte guère de vue. Le rôle a été écrit pour Javier Bardem, ici plus du côté de « Mar adentro » que de « No country for old men » ou « Vicky, Cristina, Barcelona ». Il y est effectivement impressionnant et ne volerait pas la palme du meilleur comédien, même si on peut lui reprocher d’ajouter encore de la dramatisation à des situations déjà désespérées.
Iñárritu assure que « Biutiful » « comporte beaucoup de touches d’espoir » et que « c’est même son film le plus optimiste ». Cela n’apparaît guère à la première vision. Mais il remue beaucoup de choses, plaide avec simplicité pour plus d’humanité à l’égard de ses proches comme des étrangers, témoigne avec intelligence pour les sans-papiers exploités, parle de la transmission, de la beauté du monde aussi. Et il ne peut que toucher, même si on ne croit pas aux esprits.
Le sombre étranger
Woody Allen, 74 ans, ne joue plus dans ses propres films. S’il ne peut plus être « le gars qui part avec la fille », ça ne l’intéresse plus. Pour n’être pas autobiographique, « You will meet a tall dark stranger » (présenté hors compétition) parle de la vieillesse et de la façon de la fuir. Anthony Hopkins quitte sa femme (Gemma Jones) après quarante ans de mariage et se retrouve avec une jeunesse, un cas banal sur lequel Woody brode quelques amusantes variations. L’épouse délaissée va consulter une voyante qui, comme il se doit, lui prédit toutes sortes d’événements positifs, dont une rencontre.
Tourné à Londres (c’est moins cher que New York, explique le cinéaste), le film raconte aussi les problèmes de la blonde fille du couple (Naomi Watts), qui travaille pour un séduisant galeriste (Anthony Banderas), et de son mari (Josh Brolin), qui peine sur son deuxième roman tout en lorgnant la belle brune qui habite en face. Là aussi, rien de nouveau sous les sunlights.
La facture est classique, l’humour à peu près intact. Quant à la morale, celle du pessimiste congénital et professionnel qu’est Woody Allen, c’est que pour être heureux, il faut avoir des illusions, par exemple croire les bobards d’une voyante ou même qu’on peut vivre plusieurs vies. C’est plus facile pour affronter le « Tall Dark Stranger » du titre, qui est aussi bien un beau ténébreux que la mort. Questionné sur le sujet lors de la conférence de presse qui a suivi la projection, Allen sort sa boutade de secours : « Ma relation avec la mort reste la même. Je suis toujours totalement contre. » Un film par an, c’est un moyen de combattre la décrépitude. Et si l’inspiration n’est pas toujours renouvelée, on est content de retrouver Woody et ses obsessions. (Sortie le 6 octobre)
Trop ordinaires
Avec « Another Year », Mike Leigh, 67 ans, fils d’un médecin d’origine russe, garde son sujet de prédilection : les gens ordinaires et le quotidien. Lui aussi évoque la vieillesse : le film « parle de notre façon de nous réconcilier avec la vie au fur et à mesure que nous vieillissons, de notre manière de nous confronter aux autres », résume-t-il.
On suit, au fil de quatre saisons, un couple proche de la retraite, lui géologue, elle psychologue : ils jardinent, ils invitent une amie solitaire qui noie sa dépression dans l’alcool, ils attendent avec impatience la visite de leur fils, ils enterrent une belle-sur… Il ne se passe aucun événement saillant, sinon les joies et les peines de la vie ordinaire. C’est très anglais et en même temps on peut s’y reconnaître. On a vu plus stimulant mais cela a son charme. Et les comédiens sont excellents : Jim Broadbent, Ruth Sheen, Lesley Manville.
L’Afrique noire ensanglantée
Il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu un film africain en compétition. « Un homme qui crie », du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun mérite pleinement d’y figurer. La guerre civile, dont le cinéaste a lui-même été victime (il a été grièvement blessé en 1980 puis a vécu l’entrée des rebelles dans N’Djamena en 2006 et 2008), est le moteur de l’histoire d’Adam, 56 ans, ancien champion de natation et très fier de son travail comme maître-nageur dans un hôtel jadis luxueux de la capitale. La gestion des Chinois, nouveaux propriétaires de l’établissement, et la menace rebelle vont faire basculer son univers et le contraindre à une décision contre-nature.
Ce qui intéresse l’auteur de « Daratt, saison sèche », c’est moins la guerre que le climat de peur de l’avenir qu’elle engendre. Il est concentré dans un beau personnage que le cinéaste se garde de juger et dont Youssouf Djaoro rend avec finesse l’orgueil, les angoisses et les tentations.
Le film se termine sur ce message, citation d’Aimé Césaire : « Gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle. » Comme un reproche à ceux qui aiment trop le cinéma ?
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