ON SE SOUVIENT du célèbre livre de Robert Merle, « la Mort est mon métier ». Il imaginait la vie quotidienne de Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz, faisant procéder à des exécutions dans la journée et rentrant le soir pour vivre bourgeoisement avec son épouse, à qui il cachait ses véritables activités.
Ce canevas correspond à une réalité historique. Dès 1933, l’Allemagne nazie voit les camps pulluler, car les prisons sont encombrées d’« ennemis du Reich ». On recrute à tout va, de préférence des gens à la personnalité brutale, comme les SA.
Le 30 juin 1934, la « nuit des longs couteaux » assure le triomphe des SS sur leurs rivaux SA. Hitler attribue à Heinrich Himmler la responsabilité de réorganiser le système concentrationnaire. Ce dernier prend l’initiative de transformer les unités de gardiens en régiments militaires. Il faut comprendre que, en parfait nazi, Himmler est obsédé par la nécessité de s’assurer lui-même des conditions de travail de ses subordonnés. Ainsi demande-t-il à Höss de perfectionner les techniques d’exécution, donc, pense-t-il, les conditions d’existence des gardiens. « Tuer en série n’est pas si facile », les bourreaux doivent parfois surmonter un choc, il est nécessaire qu’ils luttent contre l’ennui. Himmler, déjà maître organisateur de réunions, découvreur de la culture de masse, deviendra l’instigateur d’un éventail de distractions propres à faire oublier le caractère déprimant du « travail ordinaire ».
Subtilité.
La gestion du temps libre des gardiens, sujet original, nullement scandaleux, de ce livre, nous confronte d’un camp à l’autre à d’étonnants passe-temps : cirque, théâtre, mais surtout cinéma, témoignent même d’une subtilité culturelle en elle-même perturbatrice. Heureusement, mangeailles et bière à volonté restituent l’image vulgaire souhaitée.
La sexualité n’est pas absente, mais les friands de fantasmes seront déçus. Himmler est obsédé par la nécessité de voir les SS se marier. Les liaisons gardiens-détenus sont punies de mort et, pour le reste, il y a souvent un bordel dans la ville voisine.
En bon historien, Fabrice d’Almeida entre dans la poussière immense des budgets des camps. On sera surpris, entre autres, par ces livraisons d’énormes projecteurs de cinéma très coûteux et sophistiqués, luxe terrifiant, atroce contrepoint aux tueries dans la boue qui ont précédé les « séances »...
L’étude des bourreaux est un fait social total, aurait dit Mauss. On évitera d’y introduire de trop vertueuses distinctions. Comme le dit l’auteur de cet ouvrage, « ceux qui doivent penser le nazisme avancent toujours ainsi sur une ligne de crête où se distinguent à peine la morale et l’analyse, mais où le passé, le présent et l’avenir sont indissociables ».
Fabrice d’Almeida, « Ressources inhumaines », Fayard, 267 p., 16 euros.
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