IDEES - Dans les pas de Platon

La caverne des simulations

Publié le 04/03/2013
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C’EST LE TEXTE le plus célèbre de toute la philosophie. Celui du livre III de « la République » de Platon, dans lequel Socrate présente des hommes enchaînés sous terre, obligés de faire face à la paroi d’une caverne sur laquelle se profilent les ombres d’objets projetés à l’extérieur. C’est aussi un texte extrêmement compliqué, à la fois dans sa « mise en scène » (le feu allumé est-il devant ou derrière les objets ?) et dans sa signification philosophique. Jeux d’ombres, spectacles de marionnettes, on a dit et répété que la caverne était la première et la plus parfaite représentation de la salle de cinéma.

Au stade le plus bas, car tout le platonisme est conçu comme une hiérarchie verticale – du noble à l’ignoble, dirait Nietzsche –, ces enchaînés ne perçoivent que des ombres qu’ils prennent pour la réalité. On a affaire ici à des eidola, qui produisent dans notre tête des phantasmata, autrement dit des simulacres.

Alors Jean-François Mattéi délivre son lecteur et le replonge dans la contemplation du monde moderne. Tout n’y est que virtualité, des jeux vidéo à Internet, nous nous promenons dans le cyberespace. Les projections en 3D permettent l’actualisation d’hologrammes « hyperréels ». En Californie, des couples branchés projettent des scènes pornographiques virtuelles sur leur canapé. Quant aux portables, ne sont-ils pas devenus nos « cavernes personnelles » ?

Idoles.

Mais au cœur du livre s’installe une très dense problématique. Au sommet des réalités platoniciennes se tiennent les formes intelligibles (à tort nommées « idées »), dont font partie les réalités mathématiques. En descendant, nous avons des copies de ces modèles, puis ce théâtre d’ombres du « comme si », la simulation. Icônes, puis Idoles.

Or, la science est platonicienne, affirme Jean-François Mattei, elle évacue le sensible et garde la forme pure. Galilée établit que les corps tombent suivant une loi mathématique. Encore aujourd’hui, les sciences construisent des modèles abstraits pour comprendre les réalités concrètes. L’auteur s’oppose ainsi aux théories de Gilles Deleuze, qui affirme que tout est devenu simulacre, et que ce n’est qu’un juste retour, puisque le cinéma nous fait vivre ici-maintenant ce qui a été tourné ailleurs-autrefois. Nous prenons bien au cinéma quelques fantomatiques phosphènes pour la réalité, mais, contrairement aux prisonniers enchaînés, c’est pour notre plus grand plaisir.

En revanche, s’appuyant sur les analyses de Baudrillard, le livre flétrit l’univers des simulacres, celui des sujets virtuels des réseaux sociaux, où l’on a tant d’amis très chers... mais virtuels. C’est l’univers du film « Matrix », où chacun est enfermé dans son cocon. C’est aussi celui de la simul-démocratie des bavardages télévisuels, qui se font passer pour de la liberté d’expression.

Un livre difficile mais solide. Et ça, ce n’est point un simulacre.

Jean-François Mattéi, « La Puissance du simulacre », François Bourin éditeur, 201 p., 20 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9223