Le Bestiaire de la philosophie 

La philo, c'est tout bête

Par
Publié le 05/12/2016
Article réservé aux abonnés
Idées-Bestiaire

Idées-Bestiaire

Poser un lapin, adopter la politique de l'autruche, chercher un bouc-émissaire, autant d'expressions passées dans le langage courant. Mais l'animal a aussi envahi, souvent à titre illustratif, les grands systèmes de pensée.

Dans le « Phédon » de Platon, Socrate, qui va mourir, tient à rassurer ses compagnons : il n'est pas triste, au contraire, il est semblable aux cygnes qui « chantent à ce moment davantage dans leur joie de s'en aller ». Le même Socrate, qui, de façon un peu énigmatique, évoque dans ses dernières paroles « un coq à Asclépios », offrande à faire aux dieux. Il s'en ira heureux, il a su exciter, gratter les sachants de l'époque et se compare au taon.

Dans le « Quart Livre » de Rabelais, Panurge se venge d'un marchand, lui achète un mouton qu'il précipite vers la mer… mouton suivi par tout le troupeau. Très souvent, l'animal sert à brocarder en l'exemplifiant la stupidité des comportements humains.

L'âne de Buridan ne peut choisir. Les abeilles de Bernard de Mandeville, penseur d'origine française établi à Londres, ont tous les vices mais créent une société prospère. De là à plaider pour un accroissement des tavernes et des maisons de passe… C'est ce que fait notre économiste, traité d'homme-diable, « man-devil » outre-Manche.

Quant à la condition humaine, elle est décrite au travers d'un bestiaire pas franchement attrayant. On sait que, pour Hobbes, « l'homme est un loup pour l'homme ». Une humanité qui, telle les porcs-épics de Schopenhauer, se resserre pour se réchauffer et s'écarte sous la douleur en un mouvement sans fin. On ne se consolera pas avec l'abominable rat de Freud, ni avec les peu ragoûtantes mouches sartriennes.

Soixante-huit animaux, disions-nous, mais certains servent plusieurs fois. Inversement, d'autres sont très pauvres en existence, comme la tique qui intrigua Deleuze.

Certes, la philosophie, ses thèmes, s'illustrent grâce aux représentations animalières. Mais quel animal pour la philosophie toute seule ? C'est l'immense Hegel, LE philosophe, qui répond : la philo est la chouette de Minerve, elle ne prend son envol qu'à la tombée de la nuit et vient penser le monde tard, toujours trop tard.

Les éditions du Cerf, 400 p., 24 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9540