LA RÉALITÉ de la Shoah dans la très proche Italie est mal connue dans notre pays. L’ouvrage dense et fouillé de Marie-Ange Matard-Bonucci, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-VIII, démonte la sournoise progression qui transformera les juifs italiens en citoyens de seconde zone puis en parias.
Le livre montre d’abord comment, à l’instigation de Mussolini, est promulgué le 24 juin 1938 un manifeste du racisme italien. Il sera suivi de la création d’un véritable bain idéologique où se mêlent un conglomérat confus, pseudo-scientifique, dissimulé sous la biologie, l’anthropologie et la démographie.
Le but est double : bien sûr, en arriver à donner un habillage honorable à un racisme qui légitime l’antisémitisme et ouvre la voie à l’exclusion. Et par ailleurs affirmer la spécificité d’un racisme à l’italienne, qualitativement différent du brutal modèle germanique. « La science s’est prononcée, le régime a déclaré l’urgence du problème », résume Telesio Interlandi, fondateur de la revue « La Difesa della razza » (la défense de la race).
Mussolini est au centre de ce travail. En 1921, il évoque dans le journal d’Ettore Orazza, juif et fasciste, « le sacrifice très important et généreux » des juifs italiens lors de la Grande Guerre. Le journal de Ciano, gendre du Duce, contient de très utiles indications. Il milite en faveur d’un antisémitisme opportuniste de Mussolini, qui, en privé, reconnaît l’inexistence d’un problème juif en Italie, mais annonce son intention de calmer le jeu en « jetant de l’eau sur le feu sans pour autant l’éteindre ».
Mais dans les faits, à la fin de l’été 1938, tout le dispositif persécutoire est prêt : discriminations civiles, spoliations, déportations se mettent en marche, au moment même où, dans une « Italie schizoïde », dit l’auteur, des dizaines de milliers de juifs seront sauvés dans la zone française occupée par les Italiens.
On a le droit de se moquer et de vouloir ignorer les circonstances historiques pour s’en tenir au résultat : autant de juifs italiens que de juifs français périront à Auschwitz.
La rencontre des deux dictateurs avait suggéré un gag à Chaplin. Bien sûr, la réalité est moins drôle, mais on trouve à chaque nouvelle entrevue une surenchère de type potlatch totalitaire. Hitler est reçu à Venise en 1934, puis à Rome en 1938, du 3 au 8 mai, « journée particulière ». Mussolini exhibe la culture italienne, Hitler ses armements. C’est le principe de réalité qui a gagné. L’ouvrage de Pierre Milza nous noie un peu trop dans les atermoiements diplomatiques mais révèle que c’est hélas Hitler qui a le mieux compris Machiavel.
Marie-Anne Matard-Bonucci, « L’Italie fasciste et la persécution des juifs », PUF, 474 p., 22 euros.
Pierre Milza, « Conversations Hitler-Mussolini- 1934-1944 », Fayard, 390 p., 24 euros.
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