LIVRES - Des drames venus d’ailleurs

La société en toute « inhumanité »

Publié le 05/11/2012
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* La fillette et le pédophile

Margaux Fragoso est une jeune femme de 33 ans originaire du New Jersey, docteur en littérature anglaise et qui a publié des nouvelles et des poèmes avant « Tigre, tigre ! » (1), un terrible récit qui est aussi son histoire. « J’ai rencontré Peter quand j’avais sept ans et j’ai eu une relation avec lui pendant quinze ans, jusqu’à ce qu’il se suicide à l’âge de soixante-six ans » sont les premières lignes de cette chronique qui va bien au-delà du témoignage ou du document. Écrit dès après la mort de Peter Curran pour essayer de trouver un sens à ce qui s’est passé, le livre détisse la toile d’araignée dans laquelle le prédateur a englué l’enfant. Comment en effet, à cet âge, résister à un homme d’une si grande gentillesse, dont l’insolite demeure remplie d’animaux ressemble à un paradis du jouet et un havre de paix, comparée à la maison où sévit un père violent. Margaux Fragoso ne cherche ni à dénoncer, ni à faire pleurer. Elle dit les faits tels qu’ils se sont déroulés, tels qu’elle s’en souvient, elle se rappelle des paroles des adultes, met aujourd’hui des mots sur ses gestes ou ses sentiments. C’est parfois choquant, souvent effrayant, dans la mesure où elle rend son humanité au pédophile, mais d’une écriture limpide qui bouleverse.

* Chez les enfants tueurs

Militant politique prônant la révolution, le Russe Zakhar Prilepine, est l’un des auteurs les plus en vue actuellement en Russie. Il a reçu le prix du meilleur livre de l’année dans son pays, en 2005, pour son premier roman « Pathologies ». Après un recueil de nouvelles (« Des chaussures pleines de vodka chaude »), il s’interroge, dans « le Singe noir » (2) sur la violence des enfants. Le narrateur est un journaliste moscovite dont la vie privée est un échec en dépit de l’amour qu’il porte à ses jumeaux. Il se lance à corps perdu dans un reportage sur un laboratoire d’État ultrasecret où l’on étudie les enfants meurtriers. Un phénomène qui semble remonter à la nuit des temps et ravivé par un fait-divers récent, où tous les locataires d’un immeuble ont été massacrés par des pré-ados. Pourquoi ces gosses sont-ils confinés dans les sous-sols et étudiés comme des rats, existe-t-il une prédisposition précoce à la violence ou bien est-ce la société qui l’engendre ? A moins que ces expériences neuropsychiatriques ne soient que le fruit de l’imagination malade du narrateur ?

* Le prix de la survie

Issue d’une famille de marins, l’Américaine Charlotte Rogan jette un pavé dans la mare en explorant dans son premier roman, « les Accusées » (3), les limites de la morale humaine. Après un naufrage, des passagers qui ont réussi à prendre place dans une chaloupe de sauvetage sont trop nombreux pour la fragile embarcation et confrontés à l’amenuisement des vivres. Secourus après 21 jours de galère, trois femmes vont être traduites en justice pour avoir tué l’un de leurs compagnons d’infortune. L’originalité du livre, où alternent les séances au tribunal et les pages du journal intime de l’une des accusées, est double. Si l’on connaît d’emblée le crime, l’auteure ménage le suspense quant à l’identité de l’éventuelle victime, les circonstances de la décision et de sa réalisation. Par ailleurs, comme l’histoire se situe en 1914, elle introduit une subtile réflexion sur la place des femmes dans la société du début du XXe siècle et leurs relations avec les hommes.

* Une fable philosophique

Grande figure de la littérature indienne contemporaine et journaliste d’investigation au parcours politique engagé, révélé avec « Loin de Chandigarh », prix des Libraires en 2007, Tarun J. Tejpal prête sa voix, dans « la Vallée des masques » (4), à un narrateur nommé Karna. Sur le point d’être exécuté par ses anciens compagnons, celui-ci raconte comment, après avoir été arraché à sa mère biologique et reclus dans une communauté cachée dans une vallée inaccessible de l’Himalaya, il a gravi tous les échelons vers la pureté prônée par le gourou Aum, jusqu’à devenir un Wafadar, un guerrier. Un roman à la trame complexe qui aborde les dérives que l’on constate dans les sectes, mais aussi dans les régimes totalitaires et parfois dans des sociétés qui se disent ouvertes, l’embrigadement et la manipulation, les notions de purification et de perfection...

(1) Flammarion, 406 p., 21 euros.

(2) Actes Sud, 318 p., 22,50 euros.

(3) Fleuve Noir, 261 p., 18,90 euros.

(4) Albin Michel, 454 p., 22,90 euros.

MARTINE FRENEUIL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9184