IDEES - Un épisode initiatique

L’amour s’en va, tout fou Lacan

Publié le 02/05/2012
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PSYCHANALYSTE cultivé, malicieux et lacanien – trois qualificatifs à ne pas disjoindre –, l’homme a choisi la littérature pour mettre son sujet en perspective. Ce sont les souffrances du jeune Werther, le personnage de Goethe, dont le désarroi et le suicide conduisent au déchiffrage de la passion amoureuse.

Werther est tombé amoureux de Charlotte, fiancée à Albert. Le coup de foudre a lieu, car elle semble douce, porte une robe blanche avec des nœuds roses. Werther, lui, s’est mis en costume d’amour, veste bleue et gilet jaune.

Ainsi vêtu, il est devenu son Moi idéal, moi rêvé dans l’imaginaire. La jeune fille est l’objet extérieur, l’idéal du moi réalisé. C’est du croisement entre ces deux notions que naît l’amour. On offre à la personne idéalisée (objet de la cristallisation stendhalienne) son image idéale. L’amour est une construction fantasmagorique, traînant avec elle son petit paquet d’illusions. « L’amour idéal, dit Patrick Avrane, c’est le partage du narcissisme » et en même temps l’illusion d’une fusion absolue qui trouve son acmé dans la mort de Tristan et Yseult.

Bien sûr, on ne peut nier l’objectivité psychique du chagrin, mais on peut ironiser avec Patrick Avrane : « L’amoureux a toujours affaire à un être idéal ; l’amour réciproque, c’est le partage du narcissisme. Je t’aime parce que je trouve en toi cette merveilleuse complétude que tu découvres en moi. »

Narcissime.

Cette volonté de ne faire qu’un, cet idéal de fusion absolue ne sont que des leurres au regard du premier amour, qui est narcissique, celui du nourrisson aimant le mamelon, qu’il ne différencie pas de son corps. L’Objet extérieur ne viendra qu’ensuite.

En tant qu’il n’est qu’un narcissisme à deux, l’amour ne devrait pas empêcher le chagrin du même nom. Mais un fort narcissisme permet, on le sait, à l’énergie libidinale de se choisir un autre objet. On sort du chagrin d’amour grâce à un nouvel amour.

En contrepoint malicieux de la référence chic et romantique de Werther, l’auteur présente Raimu dans « la Femme du boulanger », de Pagnol. Le héros est gros et pas très beau, il ne se met pas en habit bleu et jaune pour aimer, mais le chagrin ne l’épargne pas, sa femme est partie avec le berger.

Si les souffrances du vieux boulanger nous sont montrées, elles ne durent pas vraiment, car l’acteur principal ne se suicidera pas et son amour se perdra dans un village cancanier, agité par « le narcissisme des petites différences ». Il s’en remettra et la fautive revient sous les aspects de Pomponette, la chatte.

Les psychanalystes n’aiment pas l’amour, affirme le concepteur de ce livre. Est-ce parce qu’ils doivent subir le faux amour de transfert de certains patients – un transfert qui est pourtant selon Freud la clef de la guérison ? Ou bien sont-ils persuadés, comme Lacan, que l’amour, c’est « donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ».

Patrick Avrane, « les Chagrins d’amour », Seuil, 153 p., 16 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9121