Dutroux, la guerre, la prison...

Le monde et ses violences

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Publié le 16/03/2017
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Théâtre-Intra Muros

Théâtre-Intra Muros
Crédit photo : ALEJANDRO GUERRERO

Si l’on était certain que des places nombreuses soient encore disponibles, nous ne vous recommanderions qu’une sortie, « Five Easy Pieces » (1), du Suisse Milo Rau. Hélas, ce spectacle, créé au printemps dernier en Belgique, s’est donné trois fois à la fin de la semaine dernière et n’est repris que trois soirs, du 17 au 19 mars.

S’il se donne si peu, c’est que des enfants en sont les interprètes et qu’ils ne jouent pas en alternance. Ils sont sept, choisis à l’issue d’une longue recherche parmi 200 garçons et filles entre 8 et 13 ans (ou un peu plus aujourd’hui). Un adulte, Peter Seynaeve, les dirige.

Essayiste, réalisateur, journaliste,metteur en scène, Milo Rau s’intéresse aux grandes tragédies de notre temps. Ici, il choisit la figure d’un ogre épouvantable, Dutroux. Les enfants, belges qui jouent en néerlandais, évoquent l’affaire et doivent donc affronter la plus atroce des menaces. Chacun joue sa propre partition. Ils sont dirigés par l’adulte comme Dutroux manipulait ses victimes. Parfois, ils sont filmés. D’autres scènes vidéo apparaissent où, et Milo Rau réussit le prodige de la rigueur et de l’efficacité analytique et sociétale. On admire ces jeunes interprètes. On arrive même à rire. C’est puissant et cela fait réfléchir.

On ira vite pour les autres spectacles. Le très intéressant « Palestro » (2), du nom d’un village de Kabylie qui, en 1956, fut le théâtre d’une embuscade cruelle pour l’armée française, suivie de répliques très sévères. Bruno Boulzaguet a co-écrit avec Aziz Chouaki ce jeu dramatique porté par trois adolescents et trois comédiens excellents, Cécile Garcia-Fogel, Luc-Antoine Diqueiro, Jocelyn Lagarrigue.

Boulzaguet, qui met en scène, possède un lien douloureux avec ce que l’on appelait « les événements ». Son père a été appelé, mais n’a jamais pu lui en parler. Cela donne un spectacle étrange, sincère, loyal. On ne peut évoquer cette guerre sans blesser les uns et les autres. Ici, on est un peu ligoté par le propos démonstratif.

Partant d’une situation assez simple, un atelier de théâtre dans une prison, Alexis Michalik réussit son nouveau spectacle « Intra Muros » (3). L’auteur, et directeur d’acteurs très bien choisis, excelle dans l’art du récit, des relances, des nœuds, des hasards, du destin. Jubilatoire, drôle et pourtant grave, avec notamment une exceptionnelle Jeanne Arenes.

Et aussi l'amour

Avouons-le, on est déçu par la puissance de la sonorisation des voix dans « Soudain l’été dernier » (4) de Tennessee Williams à l’Odéon, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig, qui signe également la scénographie écrasante et inutile. La cruauté y est souveraine, héritée des tragiques grecs. Luce Mouchel, Marie Rémond sont bouleversantes.

Au Théâtre de la Bastille, c’est à un très insolite spectacle que vous invite David Geselson, qui a adapté le livre clair et remuant du philosophe et journaliste André Gorz, qui racontait dans « Lettre à D » (5) l’amour qui le lia à sa femme Doreen/Dorine, 54 ans durant. Ils choisirent de mourir ensemble. On pénètre dans une maison. Geselson et Laure Mathis dialoguent, se chamaillent, disputent, nous font entrer dans une troublante et émouvante intimité.

(1) Théâtre de Nanterre-Amandiers, du 17 au 19 mars. Durée : 1 h 30. Tél. 01.46.14.7000, www.nanterre-amandiers.com
(2) Théâtre de l’Atalante, du 24 mars au 1er avril. Durée : 1 h 30. Tél. 01.46.06.11.90, www.theatre-latalante.com
(3) Théâtre 13/Jardin, jusqu’au 16 avril. Durée : 1 h 30. Tél. 01.45.88.62.22, www.theatre13.com
(4) Théâtre de l’Europe-Odéon, jusqu’au 14 avril (à Marseille, au Théâtre du Gymnase, du 25 au 29 avril). Durée : 1 h 35. Tél. 01.44.85.40.40, www.theatre-odeon.eu
(5) Théâtre de la Bastille, jusqu’au 24 mars. Durée : 1 h 15. Tél. 01.43.57.42.14, www.theatre-bastille.com

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9564