* « Melancholia » : chaos intime et planétaire
La mélancolie, la dépression rendent difficile la vie de Lars von Trier mais nourrissent son cinéma. Cette fois, c’est le sujet même du film, avec, le cinéaste danois ne se donne jamais de limites, une dimension cosmique.
Sur Terre, un très beau château en Suède, au bord de l’eau, avec un magnifique jardin et un golf 18 trous. Dans le ciel, une planète nommée Melancholia qui se rapproche dangereusement. Le prologue nous offre des images superbes, aux limites de l’onirique, sur une musique de Wagner. Puis l’histoire commence, celle de deux sœurs ou de la fin du monde, comme on voudra. Justine est la mélancolique, interprétée par Kirsten Dunst, qui, dit Lars von Trier, « a l’avantage d’avoir eu une dépression. Tous les gens sensés en ont eu une. » Le château est le cadre du mariage fastueux de Justine, avec un jeune homme qui semble très amoureux. Tout serait pour le mieux dans le plus confortable des mondes possibles ? Évidemment, cinéma danois et mélancolie obligent, la fête sera acide. « Nous, les mélancoliques, n’apprécions pas les rituels », plaisante (?) encore le cinéaste. Le rituel n’apaisera pas la désespérée Justine, malgré les efforts de Claire (Charlotte Gainsbourg), la sœur qui est « normale ».
La fête explosée, avec le concours des parents de la mariée (John Hurt et Charlotte Rampling, dans un joli numéro), restera à craindre, ou espérer, la collision des planètes.
Cela ne tient pas vraiment la distance - comment serait-ce possible avec un tel sujet ? - et bouscule largement le besoin de cohérence. Comme avec le film de Terence Malick, autre démiurge, l’admiration et le plaisir d’une grande mise en scène cèdent par instants le pas à l’irritation. Mais comme « The Tree of Life », ou comme « Antichrist », opus précédent du Danois, c’est un film qu’on ne risque pas d’oublier. Avec Malick et avec von Trier, on est prêt à refaire le monde et à le détruire autant de fois qu’ils le voudront.
* « Le Havre » : la fraternité, ça existe
« Le cinéma européen ne traite pas beaucoup de l’aggravation continue de la crise économique, politique et surtout morale causées par la question non résolue des réfugiés », estime Aki Kaurismäki. Le cinéaste finlandais « n’a pas de réponse à ce problème », sinon ce film, qui a conquis les festivaliers. Pas de démonstrations lourdingues, pas de leçon de morale, ce n’est pas le genre de la maison. Mais un ton décalé et un humour pince-sans-rire qui font merveille.
C’est au Havre, « ville du blues, de la soul et du rock’n roll » que Kaurismäki, après avoir parcouru les côtes européennes de Gênes jusqu’en Hollande, a choisi de poser ses caméras. Le héros se nomme Marcel Marx (l’excellent André Wilms) ; c’est un ex-écrivain devenu cireur de chaussures qui mène une vie désargentée et tranquille avec son épouse étrangère (Kati Outinen), son chien et ses copains de bistro. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un garçon africain qui souhaite atteindre l’Angleterre (Blondin Miguel).
Un portable que l’on voit quelques secondes, une séquence télévisée sur la jungle de Calais et quelques allusions politiques contemporaines sont les seuls indices de modernité. Sinon, tout respire les années 1950-1960 : décor urbain, mobilier, imper et chapeau du policier de service (Jean-Pierre Darroussin), téléphone de bakélite, tourne-disques, etc.
Le choc des époques fait partie du plaisir de ce film décrit par son réalisateur comme « à tous égards irréaliste ». À travers ses épisodes qui, sans cela et sans l’humour distancié des dialogues, auraient pu être convenues, il exalte discrètement la fraternité des pauvres et la solidarité sans frontières sociales.
Avec ce ton inimitable, Kaurimäski fait rire et émeut. Et le spectateur se sent du côté des gentils. Que pourrait-il demander de plus ? « Le Havre » doit sortir le 21 décembre, comme un cadeau ou un conte de Noël.
* « Pater » : jeux de rôles
Présenté par le sélectionneur Thierry Frémaux comme « le film le plus bizarre de la compétition », « Pater » est incontestablement un objet cinématographique étrange. Et pourtant simple. Alain Cavalier, cinéaste, filme Vincent Lindon, acteur, et réciproquement. L’un joue à être le président de la République, qui nomme l’autre Premier ministre. Souvent, cela se passe au cours d’un repas, comme des rencontres entre amis, auxquelles se joignent d’autres hommes, qui figureront selon la fantaisie de l’un ou de l’autre ou même du spectateur, ministre, conseiller, garde du corps...
Ils s’imaginent, donc, hommes de pouvoir, avec un programme, une volonté, la réduction de l’échelle des revenus, une nouvelle élection qui se profile, un adversaire contre lequel on pourrait se servir d’une information compromettante. Les deux jouent le jeu, Lindon s’enflamme, sans doute pense-t-il ce qu’il dit sur ce qu’il faudrait faire pour les gens. Mais c’est bien un jeu et, souvent, le fou rire les saisit...
C’est aussi du cinéma qui, à aucun moment, ne cherche à cacher ce qu’il est. Même si certaines réflexions sur le pouvoir et ses limites font mouche.
Cinéaste atypique, connu surtout pour « Thérèse » (1986), Alain Cavalier, 79 ans, signe depuis longtemps des films-expériences qui ne sont pas faits pour trouver un large public. Sa présence en compétition à Cannes, où il a reçu une large et très chaleureuse ovation, devrait lui conquérir de nouveaux adeptes. À vérifier à partir du 22 juin.
* « L’Apollonide » : fin de siècle
Comment choisit-on un sujet de film ? C’est tout simple, à en croire Bertrand Bonello. Après « De la guerre », son 4e film, le cinéaste au ton personnel a eu « très envie de faire un film avec un groupe de filles, sur le collectif ». Et comme, dix ans auparavant, il avait voulu faire un film sur la réouverture des maisons closes aujourd’hui, sa compagne et chef opératrice, Josée Deshais, lui a suggéré de reprendre l’idée, mais traitée de manière historique.
Comme le sous-titre « Souvenirs de la maison close », nous entrons donc dans une maison close plutôt huppée, à l’aube du XXe siècle. C’est le point de vue des filles qui est abordé. On fait leur connaissance en 1899, on les retrouve en 1900 - le début de la fin. Elles sont une dizaine, qu’on suivra dans leur vie enfermée de tous les jours. Chacune a ses désirs, ses peurs, ses joies, ses drames, ses clients attitrés... La maison est aussi un lieu où l’on boit et où l’on cause, politique, art ou autre.
Si le film n’est pas aussi « pudique » que le prétend le réalisateur, il y a, c’est vrai peu de nudité et de scènes de sexe. Mais il y a une violence terrible et qui met mal à l’aise dans ce qui est suggéré ou exprimé.
Les actrices sont très bien, menées par Noémie Lvovsky dans le rôle de la patronne, les décors et costumes sont riches et colorés. Tout cela nous laisse cependant un peu froids, manque de progression dramatique, sans doute. Le film sortira le 21 septembre.
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