JOURNALISTE dans l’âme – directeur du magazine « Le Point » depuis dix ans, homme de télévision et auteur de huit documents politiques d’actualité –, Franz-Olivier Giesbert est aussi l’auteur d’une douzaine de romans, dont « l’Affreux », Grand Prix du roman de l’Académie française, ou « la Souille », prix Interallié.
Pour raconter ce qu’il appelle « le siècle des assassins » (les conflits, les guerres et les génocides du XXe siècle ont provoqué 231 millions de morts), il se met dans la peau de Rose, une mamie de 105 ans qui n’a pas sa langue dans sa poche, mais un calibre 9 mm à 17 coups pour se défendre contre la racaille de Marseille, où elle tient sur le Vieux-Port le restaurant « La Petite Provence ».
Mais l’histoire de « la Cuisinière d’Himmler » (1) est ailleurs, qui est celle du siècle de l’abjection, racontée par la vieille dame indigne à travers trois temps forts.
Le génocide arménien d’abord : Rose s’appelait Rouanne et avait 8 ans en 1915, lorsque, après le massacre de sa famille, arménienne de Turquie, elle est devenue une esclave sexuelle. Les guerres mondiales ensuite : à Paris, où elle a fondé une famille et ouvert un restaurant, son mari est accusé d’être juif ; il sera pris dans la rafle du Vél’ d’Hiv avec leurs deux enfants ; pour retrouver leurs traces, Rose répond aux avances du Reichsführer-SS Himmler, qui avait été séduit par sa cuisine. C’est en Allemagne qu’elle apprendra la fin des siens à Dachau, et qu’elle abandonnera dans un « Lebensborn » l’enfant qui naîtra d’un viol. Le communisme chinois enfin : après une parenthèse américaine, Rose refait sa vie, à 59 ans, avec un proche de Mao ; il sera assassiné par des Gardes rouges en 1968, en tant que « révisionniste contre-révolutionnaire ». La vie trépidante de notre héroïne ne s’arrête pas là pour autant, car, de retour à Marseille, Rose va aimer, encore, cette fois une femme, une jeune Malienne, avec qui elle se fera faire un enfant, un fils.
Inutile de dire que l’on se délecte des aventures improbables de ce personnage aussi loufoque que réaliste, qui ne croit qu’« aux forces de l’amour, du rire et de la vengeance ». Rire malgré les horreurs induites par les hommes, aimer pour vivre ou survivre, se venger, pourquoi pas : par cinq fois, par le poison, la noyade, le couteau, le revolver et un coup fatal, elle fera sien le commandement de la Bible, « œil pour œil, dent pour dent ».
Sachant qu’au-delà de l’épopée picaresque, Franz-Olivier Giesbert nous rappelle à la réalité des faits dans toute leur noirceur, en même temps qu’il attire l’attention sur l’attitude et les positions de certains des gens de lettres d’hier.
Mourir pour que le monde vive.
À l’origine de plus d’une trentaine d’ouvrages récompensés par de nombreux prix, parmi lesquels le Goncourt pour « Un aller simple », Didier van Cauwelaert s’est arrêté sur un moment précis de ce siècle maudit. Précisément en 1941, lorsqu’un jeune vacher allemand presque illettré s’est retrouvé à l’hôpital psychiatrique d’Hadamar, en réalité le premier prototype de chambre à gaz, que testait Himmler sur les handicapés mentaux. Le hasard a fait que le voisin de lit de Jürgen est un certain David, épileptique et fils d’Ida Tacke, cette physicienne allemande et juive qui, dès 1934, a émis l’hypothèse de la fission nucléaire. L’imaginaire et l’Histoire font bon ménage. Sachant qu’il allait être épargné parce que surdoué, David demande à Jürgen de le remplacer, de vivre afin qu’il transmette non pas le secret de la bombe atomique, mais celui du boson, la particule invisible qui a organisé la matière en donnant une masse aux atomes.
C’est alors qu’entre en jeu « la Femme de nos vies » (2), Ilsa Schaffner, qui regroupe dans un laboratoire de psychologie expérimentale les génies en herbe catalogués débiles, pour leur sauver la vie, au risque de la sienne. Grâce à elle, la supercherie réussit. Non seulement parce que celui qu’on regarde comme un génie va le devenir mais aussi parce que, sur fond de drame et de terreur, se nouent d’intenses relations entre la jeune femme et l’adolescent. Exfiltré aux États-Unis un an plus tard, David Rosfeld poursuivra des études et deviendra le bras droit des plus grands physiciens du siècle, dont Einstein.
Le roman n’est pas que le récit de cette incroyable histoire fondée sur des faits historiques réels. Il se double d’une intrigue parallèle, qui réunit, au chevet d’Ilsa Schaffner mourante, le vieil homme ému de la revoir après soixante ans de silence et sa petite-fille, qui n’a de son aïeule que l’image d’une nazie de la pire espèce. Le premier raconte, la seconde écoute, des mots où il est question d’amour, de générosité, de dépassement de soi qui réconcilient la jeune femme avec le passé mais aussi avec elle-même. Un duo actuel tout aussi émouvant que les atrocités remémorées.
(1) Gallimard, 365 p., 21 euros.
(2) Albin Michel, 294 p., 19,50 euros.
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