LIVRES - « L’Herbe des nuits », de Patrick Modiano

Le rêve toujours recommencé

Publié le 29/10/2012
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Crédit photo : DR

TIRÉE D’UN POÈME du Russe Ossip Mandelstam, l’expression « Herbe des nuits » évoque, selon l’auteur, « ces souvenirs qui jaillissent comme des herbes et qu’on broute sans fin ». Aujourd’hui, à 67 ans et pour son 27roman, Patrick Modiano revendique la « petite musique » qu’il joue depuis son premier livre, « la Place de l’Étoile », qui l’a propulsé sur le devant de la scène littéraire. Grand Prix du roman de l’Académie française pour « les Boulevards de ceinture » et prix des Libraires pour « Villa triste », il n’a plus été récompensé depuis le Goncourt qu’il a obtenu en 1978 pour « Rue des boutiques obscures ».

Dans ce roman, il réinvente sa partition, jouant avec bonheur sur des notes personnelles, policières et historiques. Le narrateur – qui s’appelle Jean, le deuxième prénom de l’auteur, et qui lui ressemble sur de nombreux points – déambule dans Paris en se livrant à une sorte d’enquête sur des personnes qu’il a croisées jadis et des faits auxquels il a été plus ou moins mêlé.

Apprenti-écrivain, il griffonnait alors des noms, des adresses et diverses notes dans un carnet noir, seule preuve tangible qu’il n’a pas rêvé. On devine que les faits tournent autour de l’enlèvement en plein Paris et de l’assassinat de l’opposant marocain Ben Barka, en 1965 ; parmi ceux qui se réunissaient à l’Unic Hôtel, à Montparnasse – des comparses plus ou moins actifs – se détache la figure d’une jeune fille qui disait s’appeler Dannie.

Plus intéressé par la littérature que par la politique, Jean a mené une enquête de routine à l’époque mais sans chercher à approfondir le mystère des personnages ; le rapport de police qu’il obtiendra bien des années plus tard, par un pur hasard, sera trop incomplet pour lui permettre de reconstituer le puzzle.

Mais qu’importe la vérité ? En broutant l’herbe de ses souvenirs, c’est tout un orchestre de présent et de passé qui joue au diapason, dans des demi-tons d’où ressortent des fulgurances de couleurs extrêmement poétiques.

Gallimard, 178 p., 16,90 euros.

MARTINE FRENEUIL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9182