EN 1990, À 34 ANS, Jocelyne Porcher prépare un BTA en Bretagne, et nous installe très vite dans l’opposition qui parcourt tout son livre. Après avoir côtoyé de douces chèvres, elle découvre l’horreur des abattoirs industriels, en particulier le traitement des truies : animaux manipulés, transportés, frappés à coups de tuyaux de caoutchouc, soumis à des opérations brutales et atroces. « Alors, c’est ça l’élevage », se demandent-ils ?
Non, bien sûr, on est dans une autre pratique, et une autre vision. Il ne s’agit plus, dans ce second cas, d’animaux, mais de « productions animales ». C’est le domaine de la zootechnie, l’élevage manipulé par la science ; il s’agit de transformer des vivants transitoires en pures substances consommables. La faute aux cartésiens, bien sûr, l’animal n’est qu’une « machine animée ». Cela justifie que le père Malebranche batte sa chienne : « Elle crie mais ne sent pas. »
Être avec.
Ces prolégomènes conduisent l’auteure à deux développements. Le premier n’est pas surprenant, c’est la comparaison entre les abattoirs porcins et les camps nazis. Les animaux d’élevage sont confrontés à un « éternel Treblinka », dit l’auteure. Doit-on préciser qu’il ne s’agit nullement de choquer ou d’offenser par ce rapprochement ? L’horreur provient d’abord du fait qu’il ait pu être possible dans l’autre sens.
C’est avec beaucoup de finesse qu’est étudiée la manière dont les truies sont entassées de façon à être victime d’une perte d’identité et placées dans un affolement permanent. Il est révélateur qu’on se moque de l’auteure lorsqu’elle parle à une truie, ce que les exécutants considèrent comme une « lubie de femme ».
Le second développement en découle. Dans un élevage digne de ce nom, affirme Jocelyne Porcher, le vivre avec les animaux passe par un être avec : « L’affectivité et donc le corps sont en effet engagés dans le travail d’une manière extrêmement forte. » Affirmation qui tourne au leitmotiv quasi extatique lorsqu’elle déclare plus loin : « Ce qui est présent en revanche chez les éleveurs, c’est l’attachement, la proximité, voire les liens familiaux avec les animaux, et très souvent l’imaginaire et la poésie. »
Soit ! Il y a un bien vivre, une vie bonne qui débouche sur une mort bonne. C’est forcément affectueusement que l’éleveur sacrifiera sa vache, étranglera sa poule. Et l’auteur de concéder : « La mort des animaux d’élevage n’est pas un sujet facile ». Et, plus loin : « La mort des animaux d’élevage ne va plus de soi. »
Notons d’ailleurs que nombre d’élevages, par exemple de chiens ou de chevaux, n’impliquent pas la mort de leurs pensionnaires.
Ce livre terriblement tendu de sincère émotion semble pourtant éviter certaines vraies questions. Les animaux d’élevage naissent déjà dans des structures qui les enferment, les encagent, y compris ceux où la mort sera « douce ». Peut-on les considérer autrement que de la viande sur pieds ou pattes ? Accusés d’être des sadiques piégeurs, les chasseurs se défendent en arguant que l’animal, dans sa vie naturelle, a au moins « une chance ».
S’il y avait une – sinon LA – solution, ne serait-elle pas du côté de Jonathan Safran Foer et de son livre, « Il ne faut pas manger les animaux » ?
Jocelyne Porcher, « vivre avec les animaux », préface d’Alain Caillé, La Découverte, 147 p., 15 euros.
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