Les paléoanthropologues, à qui n'échappe aucun segment de l'Évolution, l'affirment : « Le départ de l'Évolution humaine n'a pas été pris par le cerveau mais par les pieds », dit André Leroi-Gourhan. La marche est au cœur de nos gènes. « Mon esprit ne va, si les jambes ne l'agitent », témoigne Montaigne. Le promeneur solitaire qu'est Rousseau vante les voyages à pied et seul. Et Virginia Woolf y met une superbe touche de poésie lorsqu'elle affirme que « les pensées en marchant sont faites à moitié de ciel ».
Longtemps prisonnier au Liban, l'écrivain et journaliste Jean-Paul Kauffmann rêvait de marcher longuement aux îles Kerguelen, un lieu de vent et de solitude qu'il finit par découvrir. Il note que la marche est bizarrement l'expérience du concret, il faut sentir le sol sous ses pas. En même temps, elle favorise d'étranges rêveries. C'est en arpentant sa Champagne natale que Gaston Bachelard s'est nourri des rencontres avec l'eau.
Dans un entretien, le philosophe Frédéric Gros souligne de façon concrète qu'il y a « des styles de marche qui correspondent à des philosophies, à des propositions d'existence différentes ». Rousseau aimait se perdre dans les forêts de Saint-Germain, pensant y faire quelque retour aux origines, loin de l'univers trop socialisé, très vite teinté de comparaison et d'hypocrisie.
Le philosophe américain Henry David Thoreau, auteur de « la Désobéissance civile » (1849) et de « Walden ou la vie dans les bois » (1854), marche vers l'Ouest, « into the wild », une notion qui n'implique aucun retour à la sauvagerie, mais plutôt un renouvellement, une énergie créatrice.
Très symboliques également sont les marches nietzschéennes, qu'incarne l'ascension d'un col, le moment ultime du franchissement par où l'homme se dépasse.
Frédéric Gros montre comment le marcheur « habite un paysage », devient une sorte d'entaille, s'y inscrit sous la forme du deleuzien « pli », notion qui dépasse l'opposition sujet/objet.
Les façons de marcher
Tous ceux qui se sont attachés à scruter les différents types de marche ont bien sûr multiplié les types d'opposition. La littérature et la philosophie varient leurs analyses suivant que l'on est seul, tel Walter Benjamin se laissant flâner et découvrant les passages parisiens, ou fortement inséré dans une dure manif, dans laquelle le voisin semble mû par la même énergie que nous.
Michel Serres est l'un de ceux qui ont le plus relié marcher et penser, marcher et créer, non sans humour d'ailleurs. « La poésie naît dès qu'un poète aligne un pied devant l'autre. » Il importe aussi d'examiner l'intérêt que présente la rue elle-même dans les belles villes d'Europe et le relatif désintérêt qu'elle offre en Amérique du Nord, où elle n'est souvent qu'une banale transition pour aller au-delà d'elle.
Aucun fait social ne se réduit totalement à un effet de mode, mais la marche s'insère de façon harmonieuse dans la célébration d'un retour vivifiant et salvateur à notre mère Nature. Ce même Jean-Paul Kauffmann qui célèbre la marche solitaire dit aussi qu'en remontant la Marne, à raison de 35 km chaque jour en ligne droite, il sentait la monotonie l'envahir et ses pensées « se transformer en idées fixes sans issue ».
Une monotonie que l'on peut casser, tout simplement en se mettant à courir...
« Marcher avec les philosophes », sous la direction de Sven Ortoli, Philosophie Magazine Éditeur, 220 p., nombreuses photos, dessins d'Emmanuel Guibert, 19,90 €
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