Olivier Adam, Claude Arnaud, Philippe Besson, Max Porter...

Les romans de la renaissance

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Publié le 07/03/2016
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Livres-Je ne voulais pas être moi

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Livres-Les passants de Lisbonne

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Livres-Bianca

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Livres-La douleur

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Livres-La Renverse

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Livres-Chasseurs de neige

Livres-Chasseurs de neige

Le nouveau roman de Philippe Besson (« Son frère », « l'Arrière-saison », « la Maison atlantique ») ne pouvait se situer nulle part ailleurs qu'à Lisbonne, au charme désuet et à l'atmosphère empreinte de saudade. « Les Passants de Lisbonne » (1) sont deux désespérés qui se croisent dans le hall de l'hôtel où ils ont échoué. Hélène, sans enfant, a perdu son mari lors d'un tremblement de terre à l'étranger ; Mathieu revient dans la ville où il a connu le grand amour, une passion qui a duré cinq ans avant que son amant le quitte. Hantés chacun par la perte du seul être qui comptait pour eux, ils finissent par se parler, se livrer et s'écouter, se donnant finalement l'un à l'autre un peu de sérénité. L'histoire aurait pu s'arrêter là mais Philippe Besson lui offre une autre fin, qu'il revient à chacun de découvrir. On est conquis par ce récit d'une extrême sensibilité, dans lequel les sentiments comme les humeurs de la ville sont dits en demi-teintes.

En 2010, Claude Arnaud (prix Femina du premier roman pour « le Caméléon ») avait révélé, dans « Qu'as-tu fait de tes frères ? », le suicide de son frère aîné, qui était schizophrène, la mort de sa mère d'un cancer, puis la disparition mystérieuse en mer de son autre frère et le décès de son père. Dans « Je ne voulais pas être moi » (2), il poursuit son travail d'autofiction, mais aux drames familiaux s'ajoutent ses propres déceptions sentimentales répétées et son tourment du temps qui passe. À 40 ans, il écrivait : « Pourquoi même me tuer ? Je suis déjà mort. » L'amour d'une belle Créole, à Haïti où il accompagnait un ami, lui redonne goût à la vie. Elle lui permet d'aller au fond de lui-même, de découvrir qui il est réellement et de se réconcilier avec ce moi profond.

« La Renverse » (3) n'est pas au premier chef un roman sur la renaissance, puisqu'Olivier Adam (« Passer l'hiver », « À l'abri de rien », « Des vents contraires », « Peine perdue ») y analyse les retombées d'un scandale familial et politique sur un adolescent. Antoine apprend par le journal télévisé la mort d'un élu de droite, ancien ministre délégué et maire de sa ville natale. Il avait aussi été l'amant de sa mère, dont il avait fait son adjointe, avant que tous les deux soient compromis dans une sordide affaire de viol. Antoine a subi comme son frère, plus fragile qu'il ne le montrait, les insultes et les moqueries, sans que ni son père ni sa mère ne s'inquiètent d'eux. La rumeur contre le silence. Roman engagé qui éclaire les conséquences, sur les enfants en particulier, d'accusations reprises par les médias et le chœur des malveillants et de l'impunité accordée aux puissants, « la Renverse » se termine sur une lueur d'espoir : « La vie n'est pas passée. La vie n'est pas finie. Elle n'a même pas commencé. » Un récit resserré et haletant.

Le pouvoir de l'imaginaire

Dans « la Douleur porte un costume de plumes » (4), c'est un corbeau impertinent, doué de parole, qui redonne à un père et ses deux enfants, endeuillés par la mort de la mère, la soif de vivre. Pour son premier roman Max Porter, 35 ans, éditeur pour la maison britannique Granta, a inventé une fable moderne originale qui révèle les pouvoirs de l’imaginaire et la force des mots : alors que la maison respire l'absence et le manque, entre un soir un oiseau de malheur qui étend sa noirceur et sa puanteur dans toute la maison. Sorte de fantasme croassant, il est aussi capable de « manger la tristesse » et n'a de cesse de donner à chacun la force de surmonter la perte en ravivant la mémoire de la disparue. La force du livre est dans le style, qui fait feu de tout bois pour aboutir à un texte surprenant de force et de beauté (dans la version française également, grâce à Charles Recoursé), entre fable poétique et conte fantastique, l'humour du corvidé empêchant les larmes de couler. Un bijou d'écriture et de sincérité.

La réalité dans son horreur est au cœur de « Chasseurs de neige » (5), le premier roman de l'Américain d'origine coréenne Paul Yoon, déjà reconnu pour son recueil de nouvelles « Autrefois le rivage ». Le livre a pour thème l'expatriation au Brésil, à la fin de la guerre de Corée en 1954, d'un jeune Nord-Coréen de 25 ans rescapé des camps. Il y devient l'apprenti d'un tailleur japonais, qui s'était lui-même établi là-bas après la Deuxième Guerre mondiale. En alternant des scènes du passé, l'enfance du héros en Corée avec sa famille et les souvenirs de guerre, et des images du présent, l'amitié nouée avec le « maître » mais aussi avec deux enfants des rues, Paul Yoon montre qu'un homme qui a connu le pire peut malgré tout saisir l'essence de la vie et sa beauté et se reconstruire.

Lorsque la fille du journaliste Denis Robert (qui exposa l'affaire Clearstream), Loulou Robert – qui est, à 22 ans, un mannequin recherché en France comme aux États-Unis – publie un livre racontant l'histoire d'une jeune fille placée dans un hôpital psychiatrique parce qu'elle ne mangeait plus assez et qu'elle a tenté de se suicider, chacun s'interroge sur la part autobiographique du récit. Dans le roman « Bianca » (6), l'héroïne a 16 ans et elle observe le monde chaotique qui l'entoure sans savoir d'où lui vient ce vide qui l'a conduite ici. Et puis, petit à petit, elle dit comment les sensations, les émotions, le désir et les sentiments lui reviennent, comment la vie, sans qu'elle y puisse rien, la ranime. Un récit du mal-être adolescent bien construit.

(1) Julliard, 198 p., 18 €.

(2) Grasset, 173 p., 17 €.

(3) Flammarion, 272 p., 19 €

(4) Seuil, 122 p., 14,50 €.

(5) Albin Michel, 191 p., 19 €.

(6) Julliard, 294 p., 19 €.

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9477