PARLANT de livres qui font peur, nous ne pensons bien sûr nullement au polar bien construit et « thrillant ». Plutôt aux conduites d’exorcisme magique, que suscite par exemple « Mein Kampf ». On entre dans l’humiliation avec dégoût et fascination mêlés. On y entre par induction, une accumulation d’exemples.
On connaît la procédure américaine de fouille corporelle : s’accroupir et écarter les fesses, nu et humilié. Comme l’étaient les prisonniers d’Abou Ghraib, entassés en obscène pyramide ou tenus en laisse par la souriante Lynndie England. Humiliés, aussi, ceux dont les photographies intimes sont mises sur Internet par un ex revanchard.
Des exemples très liés au corps et un peu faciles, mais Wayne Koestenbaum prend souvent aussi des exemples dans lesquels les victimes ne se ressentent nullement comme telles. C’est le cas des émissions de télévision où l’animateur ridiculise les conduites ou l’ignorance crasse de participants parfois hilares. Humiliée souvent, mais consentante, Liza Minnelli, fille alcoolique d’une mère alcoolique, venue exhiber sa déchéance dans les TV shows.
Si le corps, ses sécrétions, ses orifices, excroissances et déjections, est le grand théâtre, la situation d’humiliation a la vertu d’exhiber ce que vous êtes. L’humiliation vous conduit à l’humilité et « sort » ce qui fait votre humanité au grand jour, vos petits particularismes, vos marqueurs sociaux.
La femme est souvent dans ce cas. Gentille confusion de Sophie Marceau dont un sein s’échappe ou d’une flagellation de rotondités par le marquis de Sade. Honte d’être juif ou noir au travers des abominations de l’histoire ou sous le regard de Jim Crow*, l’humiliation vous réduit à ce que vous êtes, provoque l’aveu et la honte. Sexe, race ou classe, ce dernier cas étant illustré par le terrible exemple que voici. Une jeune fille, partiellement échappée à son milieu modeste, doit interpréter le concerto de Schumann devant une très bonne société. Elle salue, s’assied, regarde un instant ces touches noires et blanches si parfaites dans un « Umwelt » qui la repousse et, d’un seul coup, vomit copieusement sur le piano, un terrible dégoût d’elle-même venant redoubler l’exclusion qui la chasse.
Fascination ?
Que tente de montrer Koestenbaum à travers tous ces exemples ? D’abord la profonde empathie avec l’humilié, qui lui-même nous humilie. Cet état dans lequel on rejoue une scène nous amène, au sens freudien, à « abréagir » et nous délivrer de cet affect pénible.
C’est ici que le livre trouve sa limite et franchit un palier qui met à mal la sensibilité du lecteur. L’auteur ouvre en effet tous les registres de l’abjection, d’Artaud à Basquiat, il fait comparaître sur son théâtre de l’obscène tous les fluides corporels, et même il s’y vautre. Il n’est plus question de honte ou d’empathie mais de fascination. Croisant une femme au visage atrocement abîmé, il traîne toute la journée l’obsession de son humiliation.
Et bientôt, le livre se réduit à son autoportrait : lui, petit, intello, juif, gay et affublé d’un pénis trop petit, semble, dirait Sartre, condamné à se boire sans soif. Il faut pourtant conseiller ce livre, comme il faut parfois se pencher au-dessus des gouffres.
Wayne Koestenbaum, « Humiliation », Climats, 228 p., 19 euros.
* Personnage imaginaire, symbole aux États-Unis de la ségrégation raciale.
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