CINEMA - Le festival de Cannes

Métaphysique, malaises en tous genres et ode au cinéma

Publié le 18/05/2011
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* « The Tree of Life » : de belles interrogations

Quel autre cinéaste aurait osé situer une somme toute banale histoire de douleurs familiales au sein de l’épopée de l’univers ? Quel autre aurait évoqué le conflit de la nature et de la grâce en montrant la naissance du monde, les dinosaures (c’est à leur époque que serait née la compassion, nous dit le dossier de presse) et la galaxie ? Stanley Kubrick, peut-être, et ce n’est sans doute pas un hasard si Malick, pour les effets spéciaux, a consulté le vétéran Douglas Trumbull, qui s’était fait connaître grâce à « 2001, l’Odyssée de l’espace ».

Terrence Malick signe son 5e film en près de 40 ans, remis plusieurs fois sur le métier alors qu’il devait sortir l’année dernière, et ce n’est pas lui qui s’explique sur ses intentions. Si le film évoque une enfance dans les années 1950 qui ressemble peut-être à la sienne et des rapports conflictuels fils-père qui peuvent susciter des échos chez beaucoup d’entre nous, c’est surtout pour les replacer dans des interrogations métaphysiques qui dépassent les personnages.

Tout en se demandant si l’ensemble tient debout, on ne sait ce qu’on doit le plus admirer : les magnifiques images d’une nature en mouvement permanent (eaux jaillissantes, volcan en fusion, désert sans horizon, etc.), accompagnées d’une musique à l’unisson, ou les scènes familiales (un père psychorigide qui aime ses enfants mais les fait souffrir) écrites, mises en scène et jouées avec une terrible précision.

Brad Pitt, qui coproduit le film, tient là l’un de ses meilleurs rôles et prouve la maturité de son jeu. Jessica Chastain est toute de grâce et de douceur et les trois garçons sont excellents.

« The Tree of Life » est depuis hier sur les écrans. On ne garantit pas que vous l’aimerez mais vous ferez 2 h 18 d’une expérience cinématographique inédite.

* « Michael » : un pédophile ordinaire

Après les affaires de pédophilie évoquées du côté des policiers de la Brigade des mineurs dans « Polisse ,»de Maïwen, voici le point du vue, si l’on peut dire, du pédophile. Dans son premier film, dont il a écrit le scénario, l’Autrichien Markus Schleinzer, 40 ans, directeur de casting (dont celui des films de Michael Haneke), montre sans affect le quotidien d’un homme et du garçon de 10 ans qu’il a enlevé et enfermé dans son sous-sol. Avec l’enfant, il mène une vie « normale » : repas, ménage, jeux, télévision (pas après 9 heures du soir). L’homme et l’enfant n’échangent que quelques mots, ceux nécessaires à ces choix élémentaires. Nous ne saurons rien des circonstances du rapt, mais nous voyons Michael à son travail ou au restaurant avec sa sœur.

S’il a consulté une psychologue experte auprès des tribunaux pour être sûr de ne pas commettre d’erreur, dans cette fiction, sur le personnage et son comportement, Schleinzer se refuse à tout jugement extérieur et toute morale, pour que chacun pèse sa propre appréciation d’un criminel dont on saura peu de choses. « On mesure le degré de développement d’une société à la façon dont elle est capable de se confronter à ses criminels », dit le cinéaste.

Livré à lui-même, le spectateur ne sait pas s’il doit apprécier ou rejeter le film. Lors de la première, à Cannes, la salle s’est partagée entre huées et applaudissements. Décidément, les cinéastes autrichiens savent créer le malaise. Mais les films qui font souffrir ont aussi leurs vertus.

* « Le Gamin au vélo » : les Dardenne tels qu’en eux-mêmes

Avec Jean-Pierre et Luc Dardenne, deux fois lauréats de la palme d’or (« Rosetta », en 1999 et « l’Enfant » en 2005), on est en territoire connu. Même si, avec cette histoire de gamin perdu apaisé par une femme qui le prend sous son aile, ils se montrent, estime-t-on, plus optimistes qu’à l’habitude.

Le gamin, Cyril, 12 ans, n’a qu’une idée en tête, retrouver son père, qui l’a laissé dans un foyer. L’une de ses fugues le met sur le chemin d’une coiffeuse, qui accepte de l’héberger pendant le week-end. Mais la main tendue, il n’est pas prêt à la prendre.

Fidèles toujours à leur naturalisme, au refus de la sensiblerie, aux explications psychologiques (on ne saura pas pourquoi la coiffeuse s’intéresse au garçon), les Dardenne alignent avec simplicité les épisodes de la quête du père ou d’un substitut. Le garçon (un bon choix, comme toujours, Thomas Doret) est de toutes les scènes, et la violence dont il est prisonnier est un peu fatigante. C’est peut-être le but recherché. En tout cas, Cécile de France apporte la présence apaisante et chaleureuse souhaitée.

Certes le film, qui sort ce mercredi, est émouvant, mais si peu surprenant.

* « The Artist » : chapeau !

Les audaces ont toujours leur place au festival de Cannes, surtout quand elles sont mises en œuvre avec talent. « The Artist », qui devait être présenté hors compétition, a été ajouté au dernier moment à la liste des concurrents pour la palme d’or, est audacieux mais pas si atypique que ça. Sur le papier, oser le muet et le noir et blanc était un pari quasi inédit, surtout avec un acteur aussi populaire que Jean Dujardin. Mais c’est précisément le succès des deux films précédents de Dujardin avec le réalisateur, Michel Hazanavicius, les savoureuses parodies d’OSS 117, qui a permis à ce dernier de se lancer dans l’aventure, avec le concours du producteur Thomas Langman, qui n’est pas à une extravagance près.

C’est l’amour du cinéma muet et des réalisateurs qui en viennent -  il cite Hitchcock, Lang, Ford, Lubitsch, Murnau, Billy Wilder - qui a conduit Hazanavicius à ce fantasme de film sans paroles. « Ce n’est plus au scénariste ni aux acteurs de raconter l’histoire, c’est vraiment au metteur en scène », souligne-t-il. Et pour justifier ce fantasme, il a imaginé précisément une histoire qui se passe au moment du passage du muet au parlant et nulle part ailleurs qu’à Hollywood.

L’histoire d’une star du muet, à la Douglas Fairbanks, qui ne croit pas au cinéma parlant, d’où le début de la déchéance, tandis que la petite starlette à laquelle il a donné un coup de main monte jusqu’en haut de l’affiche. Une histoire d’amour, classique, gentillette, sans surprise mais ce n’est pas là que réside le plaisir du film. Il est dans cette incarnation pour les amoureux du 7e art, et il en reste quelques-uns, on l’espère, de la mythologie du cinéma. Et dans les nombreux clins d’œil, qui ne relèvent pas cette fois, jure le réalisateur, du pastiche, ce qui ne les empêche pas d’être amusants.

La musique joue un rôle important et les noirs et blancs de l’image travaillés avec style. Jean Dujardin est parfait, Bérénice Béjo piquante et la distribution américaine, John Goodman en tête, à l’unisson. Quant à savoir si le film, quand il sortira, en principe le 19 octobre, séduira un large public, c’est une toute autre question.

Consulter le blog de Renée Carton sur www.lequotidiendumedecin.fr

RENÉE CARTON
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Source : Le Quotidien du Médecin: 8965