« Une chambre en Inde »

Mnouchkine, un rire safrané

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Publié le 24/11/2016
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L’Inde est fondatrice dans le parcours intellectuel et sensible d’Ariane Mnouchkine. Elle a fait des voyages en Asie dès le début des années 1960, avant même la fondation, en 1964, du Théâtre du Soleil. De tous les pays qu’elle a visités, l’Inde est celui qui l’a sans doute le plus profondément marquée. On n’a pas oublié « l’Indiade », épopée de la partition d’avec le Pakistan, composée par Hélène Cixous.

Il y a un peu moins d’un an, la troupe a fait un long séjour à Pondichéry et s’est initiée à un art demeuré très vivace, joué le plus souvent par les basses castes et à leur intention, le theru koothu. Une des plus anciennes formes de théâtre chanté et dansé au monde. Il se donne en langue tamoule. Et, sur le grand plateau de la Cartoucherie, des épisodes du « Mahabharata » sont interprétés avec une rigueur et une précision qui enchantent par les comédiens de la troupe.

Ces artistes, issus de toute la planète Terre, donnent une force particulière au propos. « Une chambre en Inde », on l’a dit, tient de l’épopée et de la bande dessinée. On y parle anglais, français, arabe, tamoul, russe… C’est un spectacle ambitieux – mais jamais prétentieux –, qui entend passer en revue tous les problèmes qui secouent le monde : éthiques, politiques, économiques, écologiques, religieux.

L’argument est simple : une troupe française, invitée en Inde, est abandonnée par son directeur, qui, après les attentats de Paris, ne trouve plus de sens à son engagement d’artiste. Son assistante est sommée de trouver une idée de spectacle d’urgence. Cornélia (Hélène Cinque, irrésistible) ne quitte pratiquement pas son grand lit. Elle tente de dormir. Elle rêve. Songes heureux, mais cauchemars, aussi. Et ils se matérialisent sous nos yeux.

Courageux

Espace, temps, pas de limites. À vous de découvrir les enchaînements astucieux, les changements de costumes, d’accessoires à la vitesse de l’éclair. À vous de rire. À vous d’être épaté par le courage que supposent certaines scènes. Un tournage de propagande de Daech moqué férocement, les émirs d’Arabie Saoudite montrés dans leur noirceur. Tout est nommé clairement. Et l’on rit énormément. Tous les dictateurs sont cités – pas Erdogan, bizarrement –, tous les scandales dénoncés, tous les problèmes à venir, celui de l’eau potable, notamment, sont évoqués, magiquement, par le théâtre.

C’est un propos audacieux et un grand spectacle. Ariane Mnouchkine fait paraître ses maîtres, Shakespeare, Tchekhov. Elle est aussi la digne héritière de Molière. C’est aussi fort et courageux que Molière. À la fin, un jeune musulman radical reprend le discours de Charlie Chaplin dans « le Dictateur ». Saisissant.

C’est vraiment un beau et grand spectacle, accompagné de la musique de Jean-Jacques Lemêtre, plein de trouvailles et de prouesses, de rires et de sourires, d’émotions. À partager. 

 

Cartoucherie de Vincennes, à 19 h 30 du mercredi au vendredi, à 15 h 30 samedi, à 13 h 30 dimanche. Durée : 3 h 50, entracte compris. Navette Château de Vincennes-Cartoucherie, pendant une heure avant, une heure après. Accueil avec délices de cuisine indienne, une heure trente avant le début des représentations. Tél. 01.43.74.24.08 (individuels), 01.43.74.88.50 (collectivités, groupes d’amis), www.theatre-du-soleil.fr

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9537