TOUT NOTRE imaginaire est émaillé, de façon pas forcément noble, par la vengeance. « L’Iliade » a pour origine la colère d’Achille, qui veut faire payer à Hector la mort de son ami Patrocle. Jean Valjean revient, sa revanche amèrement distillée dans le temps va éclater. Ce sentiment est le ressort d’innombrables westerns plus ou moins simplistes, mais il crée une jouissance quand on comprend par un flash-back ce que cherchait le bad guy, l’homme à l’harmonica émergeant d’un passé douloureux.
Aristote est l’un des rares philosophes à faire place à ce qui semble relever des « passions tristes ». La vengeance est liée pour lui à la colère, qui est naturelle. Par là elle n’est pas à bannir, sauf si elle est disproportionnée. Mais qui dira où est la mesure entre l’offense et la réaction ? La religion ne nous enjoindra-t-elle pas de seulement « tendre l’autre joue » ? La problématique de la vengeance est précisément dans le fait qu’elle peut n’avoir pas de limites et que, au-delà de la simple relation interindividuelle, elle va s’articuler à une justice sociale chargée de punir.
Réparation.
On a une piste intéressante avec Nietzsche, qui dit que « Tout dommage trouve quelque part son équivalent, il est susceptible d’être compensé, fût-ce par une douleur que subirait l’auteur du dommage. » Le penseur allemand rattache ceci à la notion de réparation, de dettes qui doivent nécessairement être payées. Tout doit avoir sa compensation, l’offenseur est un débiteur et l’offensé un créancier.
Bien sûr, on évoquera ici la loi du talion, apparue dans le code d’Hammourabi à Babylone, vers 1700 avant J. C. La justice nie la vengeance, elle doit infliger un préjudice proportionnel au préjudice subi. Idée qu’on retrouve dans le droit hébraïque et l’adage « Œil pour œil, dent pour dent ». Un adage objet d’un très révélateur contresens, puisqu’on en fait le signe qui justifie la vengeance et le lynchage alors qu’il indique mesure et proportion de la sanction.
Mais la vengeance qui débouche sur le lynchage, en particulier bien sûr dans sa forme collective, est monnaie courante. Un chapitre est consacré à cette forme extrême qui se nomme le règlement de comptes.
Déjà, Achille égorgeait 12 Troyens pour venger Patrocle, mais on est peut-être ici dans la mythologie. Michel Erman évoque ce milicien battu à mort par la foule d’un village au moment de l’Épuration, ces civils palestiniens assassinés à Sabra et Chatila pour venger Bachir Gemayel. Sans oublier, à un degré de cruauté moindre, les détenus sans inculpation précise de Guantanamo, en représailles aux attentats du 11 septembre.
On s’en doute un peu, ce n’est pas de cette forme de vengeance que Michel Erman fait l’éloge. Il situe son propos sur le terrain de la relation interhumaine : je veux me venger parce que mon existence d’être humain a été déniée, parce qu’on m’a laissé là dans la souffrance et l’humiliation.
On objectera que la justice est censée pourvoir à cette tâche et que, d’ailleurs, en punissant, elle est un baume apaisant pour la conscience collective. Osera-t-on suggérer à l’auteur la conduite la plus difficile, celle qu’il a d’ailleurs entrevue, celle que Jankélévitch a dénié aux criminels nazis parce qu’ils ne le sollicitaient pas, le pardon.
Michel Erman, « Éloge de la vengeance », PUF, coll. « La nature humaine », 128 p., 13 euros.
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