Menacé par le Cyclope, Ulysse s'en sort provisoirement en lui disant « Je suis Personne ». Mais l'auteur remarque que le mot reste entaché d'une signification plutôt péjorative. « On l'associe à une certaine forme de lâcheté, à la délation, au fait de ne pas assumer ses actes. » Sacha Guitry conseillait d'ailleurs : « Lorsque vous recevez une lettre anonyme, ne l'ouvrez pas ! »
De fait, la société a généralisé l'anonymat sans qu'on en soit forcément conscient : société anonyme, donateurs anonymes, d'argent ou d'organes. Bien sûr, l'Internet a favorisé les choix d'identités multiples, fictives, virtuelles, brouillant les cartes, souvent avec plaisir.
Ce sont quelques figures marquantes d'incognito que le livre présente. Les scénarios, les motivations en sont fort variés. En 1846, un petit éditeur londonien reçoit par la poste un paquet contenant de brûlants poèmes écrits par trois mystérieux frères, Currer, Ellis et Acton Bell, « pen names » de Charlotte, Emily et Anne.
Vous avez déjà deviné, cultivés lecteurs, qu'il s'agit de Charlotte, Emily et Anne Brontë, qui publieront ensuite de très célèbres romans, échappant à la terrible sinistrose d'un presbytère du Yorkshire. « L'histoire de la littérature s'est surtout écrite au masculin, rappelle Yann Perreau, et les femmes durent adopter des pseudonymes pour pouvoir publier. » Il n'est pas jusqu'à J. K. Rowling, qui ne devint célèbre qu'en remplaçant son prénom féminin par les initiales J. K.
Le double et la multitude
Nombreuses peuvent être les raisons de devenir incognito. Elles peuvent être de terribles nécessités, comme dans le cas de Roman Kacew (devenu Romain Gary), dont le patronyme est trop juif en 1943. On peut aussi vouloir se fondre en un autre, comme lorsque Gary disparaît sous Ajar, « sa créature, son enfant et sa malédiction ». « Lassé de la célébrité, l'homme pense renaître sous la forme d'un double », explique Yann Perreau.
Un double qui peut avoir la forme d'un urinoir pour Marcel Duchamp, heureux de faire un pied-de-nez à l'establishment de l'art, et salué tout de même par le critique Walter Arensberg : « Une forme séduisante a été révélée, libérée de sa valeur d'usage. »
L'histoire d'Incognito oscille entre deux pôles, rappelle l'auteur, une mise en scène de soi, une recherche en fait de renommée et de célébrité, plus le petit côté malicieux du « Cherche toujours ». D'un autre côté, il y a l'effacement la clandestinité, les identités collectives, la multitude. Il n'est pas sûr que ces deux aspects s'opposent tellement.
En 1537, François Ier impose à tout auteur ou imprimeur le dépôt légal de ses œuvres. Plus question d'anonymat, mais la possibilité de censurer. Pour éviter la prison, Descartes préfère s'enfuir en Hollande. Il est vrai que sa devise était « larvatus prodeo » (j'avance masqué).
Mais Incognito n'est pas forcément exhibitionniste ou louche, l'anonymat ne choque personne. Lorsqu'on dépose son bulletin dans l'urne, n'est-il pas alors le témoignage de la démocratie ?
« Incognito - Anonymat, histoires d'une contre-culture , Grasset, 304 p., 19,90 €
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série