IDEES - Un seigneur de la pensée

Nicolas Grimaldi ou l’attente du sens

Publié le 16/04/2012
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IL Y A PIRE début pour un livre que le point de vue exprimé par Chateaubriand. Il témoigne des impressions de celui qui, se rapprochant de sa fin, voit naître un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu, un « traînard (qui) a vu mourir les hommes mais aussi les idées ». On devine que Nicolas Grimaldi se situe exactement dans cet entre-deux. Le monde politique a changé, d’autres choses aussi. « En 1950, il y avait douze librairies entre la rue Gay-Lussac et la rue des Écoles. Il en reste quatre aujourd’hui... »

Dans ce qui a disparu, il faut compter des valeurs essentielles, non matérielles, mais qui constituent ce qu’on peut appeler « l’humanité de l’homme », au nombre desquelles il y a, selon l’auteur, « le respect de la langue, le jugement, le goût et jusqu’à l’exigence ou au moins l’attente d’un sens ».

Ce dernier point est essentiel. Il est absent de mai 1968, où il s’agissait de tout changer tout de suite. Ce changement, Nicolas Grimaldi avoue qu’il l’avait souhaité de toutes ses forces : « Il se produisait, il était là, je l’avais sous les yeux : c’était tout le pire de tout ce que je détestais. » S’ensuit une galerie d’arrogants maîtres de conférence prêchant la fin de l’orthographe, de pauvres professeurs humiliés et de doux crétins excités à l’idée de transposer à la Sorbonne les techniques des gardes rouges maoïstes ! De fait, en mai 1968, « la vie politique ne fut guère secouée que par un éternuement ». Il en va autrement de l’Art, sujet auquel sont consacrées les pages les plus savoureuses.

Contre le culte de l’instant.

C’est dans les arts plastiques qu’éclate avec force, si l’on peut dire, le triomphe du rien. Désormais, en matière d’art, il n’y avait si pauvre chose, « et même l’absence de toute chose, qui ne pût prétendre au statut d’œuvre d’art ». L’idée étant qu’il suffisait d’imaginer pour se persuader d’avoir créé : une tringle tordue, vous voila sculpteur, « nul besoin pour cela d’avoir jamais manié ni ciseau, ni spatule, ni maillet ». Refusant de réduire le goût esthétique au social, démontant les différentes formes de snobisme, l’auteur révèle que la beauté n’est pas une propriété de l’objet, « c’est de façon intermittente que l’art illumine un objet s’y fait reconnaître... il y clignote seulement ».

Il y a tout lieu d’être attristé lorsque Nicolas Grimaldi dit, toujours en référence à Chateaubriand, ne plus du tout appartenir à notre époque. Pourtant, ni sa pensée, ni son style ne relèvent du déclinisme ou de cette aigreur réactionnaire à la mode.

Son vrai combat est plutôt contre le culte de l’instant, du zapping frénétique du temps, de ce que Pierre-André Taguieff nommait « le bougisme ». Il nous invite à cultiver l’attente et sa promesse. Cynique et lucide, sans facile ricanement, il y a du Raymond Aron chez cet homme-là.

Nicolas Grimaldi, « l’Effervescence du vide », Grasset, 167 p., 16 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9115