CE N’EST PAS par pur rituel qu’on s’interroge d’abord pour savoir si l’homme de Cro-Magnon connaissait la porte. On se transportera avec toute une armée de paléo-archéologues sur les sites du néolithique, souvent arasés. Vu d’avion, on repérera de vagues fossés, on apercevra parfois des « entrées ». En particulier à Étiolles, dans le bassin parisien, il y a seulement - 17 000 à - 10 000 ans.
Disons-le bêtement, de tout temps, comme l’écrivent les potaches dans leur introduction au devoir de bac, l’homme a dû habiter, se protéger du froid et des méchants bandits, il a fallu entrer et sortir. Ce qu’on apprend en accélérant la lecture et le temps, c’est que, justement, la porte n’a pas toujours existé. L’Égypte pharaonique l’ignore à cause du climat chaud et de la rareté du bois. En revanche, l’intérieur des pyramides connaît une foule de passages et de mastabas, donnant accès par d’autres passages aux chambres mortuaires. Vestibules et « descenderies » vous conduiront paradoxalement vers les portes du ciel.
Avant les portes, il y a dans l’antiquité les espaces ouverts, tracés au sol, espaces sacrés. C’est le templum qui, peu à peu, deviendra concrète construction. Défense d’entrer, donc, sans la nécessité de fermeture. Mais la mythologie a ses droits. Hadès est le lieu des Enfers et un dieu « aux portes bien closes » – on entre pour ne jamais ressortir.
Avant les portes, il y a les portiques, les portails, et on accède à l’Acropole au travers des propylées, portes qui sont davantage une forme qu’une matière et qui, déjà, signalent l’entrée dans une citadelle, une ville à fortifier, à défendre matériellement, cette fois, même si à Troie on laissa un jour passer un cheval… À Rome, la porte se fait demi-cercle majestueux, elle est arc de triomphe, porte magique sous laquelle passent les guerriers vainqueurs.
Ces quelques exemples, d’ailleurs bien connus, ont un intérêt profond pour comprendre ce livre. Il n’y a rien de plus concret qu’un porte. Demandez aux enfermés à perpète, même si aujourd’hui le verrouillage s’est fait électroniquement distant. Demandez aux amoureux éconduits, aux chômeurs en quête d’emploi qui s’y cassent le nez.
Mais la porte est un objet toujours symbolique, comme l’est notre maniÈre d’habiter un espace dont elle matérialise l’opposition dedans/dehors, ou celle qui marque rejet ou acceptation sociale. Michel Foucault a rappelé, à propos de son « Histoire de la folie à l’âge classique », avoir bien connu la folie, « d’abord du côté où les portes se ferment », avant de l’étudier du côté « d’où elles s’ouvrent ».
On peut sourire, mais on a longtemps cherché concrètement où pouvaient se situer les portes du paradis, comme le note Jean Delumeau dans son « Histoire du paradis » (Paris, Fayard, 1992). Il fallait bien qu’il y ait des portes, puisqu’Adam et Ève en furent chassés !
Car les portes, si elles accueillent ou excluent de toute façon, nous somment souvent d’attendre. Elles signifient un ordre précis. C’est ainsi qu’on accède au lever du roi Louis XIV par un jeu compliqué de portes composant presque « un labyrinthe, ces portes impossibles ! »
Généralisant pour notre plaisir ce que la porte représente de façade, Pascal Dibie étend cette idée aux sens, aux récepteurs du visage, et rejoint ici à la fois la psychanalyse et les poètes. Ainsi Apollinaire s’adresse-t-il à la bouche : « Je vous ai vue, ô porte rouge, gouffre de mon désir. » Et, nous déplaçant vers le bas, porte par excellence d’où déjà nous sortîmes, que cette « Origine du monde » de Courbet.
D’ailleurs, un livre lui-même n’épouse-t-il pas la structure générale de ces belles portes décorées et ouvragées d’antan ? On ne l’aborde parfois qu’au travers d’un frontispice orné il faut dépasser préface et introduction pour y être vraiment. Entrons donc dans celui-ci.
Érudit huissier, Pascal Dibie a vérifié de très près les montants, chambranles et linteaux de ce riche ouvrage. Laquais sans servilité des loquets, il n’enfonce ici aucune matière qui n’ait déjà été fermée.
Pascal Dibie, « Ethnologie de la porte », Métailié, 400 p., 22 euros.
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