« The Prisoner », de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Papier découpé

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Publié le 15/03/2018
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Théâtre-The Prisoner

Théâtre-The Prisoner
Crédit photo : SIMON ANNAND

Il le raconte lorsqu’on s’entretient avec lui. Dans les années 1940, alors qu’il faisait un voyage en Afghanistan, avec sa femme, la comédienne Natasha Parry, et deux amis, Peter Brook avait rencontré un maître soufi, près de Kaboul. Ce dernier lui avait dit : « Si vous allez à Kandahar, bifurquez avant la ville, et bientôt vous serez devant un grand bâtiment. C’est la prison. En face, dehors, il y a un homme. Allez-le voir.  » 

Peter Brook se rend devant la prison, approche de l’homme. Il est là, effectivement, qui, seul et sans entraves physiques, purge une peine pour un crime grave. L’homme démuni de tout est en train de manger sa pauvre soupe d’herbes et de détritus. Il tend son écuelle à Peter Brook. « Non merci  », répond ce dernier. Il ne se l’est jamais pardonné et plus de soixante-dix ans plus tard, il se le reproche encore. Il en a développé un terrible remords, un sentiment de culpabilité affreux.

Voilà pourquoi, avec Marie-Hélène Estienne, il a choisi d’écrire et de mettre en scène « The Prisoner ». Une sorte de papier découpé à la Matisse qui évoque cet épisode et prend quelques libertés romanesques en imaginant le crime qui a valu une telle punition à l’homme.

Cinq comédiens anglophones jouent ce conte philosophique très pur, avec des moyens très simples de représentation. Des bâtons, des objets élémentaires. Et l’on est happé. Hiran Abeysekera est le prisonnier, avec un regard profond, saisissant. Sean O’Callaghan est l’Européen qui ne connaît pas tout encore de la force de la pensée, de la symbolique, de l’ailleurs. Il est remarquable. Kalieaswari Srinivasan est la jeune femme touchante, vulnérable, sœur, fille, trop aimée. Omar Silva dessine plusieurs silhouettes et Ery Nzaramba est l’oncle, celui qui a fixé au « prisonnier  » quelle devait être sa peine…

Tout cela est à la fois dense et elliptique. Un art de la simplicité en épure et profondeur. La quintessence du théâtre et du conte.

À noter la parution d’un nouveau livre de Peter Brook, traduit par Jean-Claude Carrière, « Du bout des lèvres  » (Odile Jacob, 14,90 €).

Théâtre des Bouffes du Nord, du mardi au samedi à 20 h 30, samedi à 15 h 30. Jusqu’au 24 mars (et plus tard en tournée en France et à l’étranger). En anglais avec surtitrage. Durée  : 1 h 15. Tél. 01.46.07.34.50, www.bouffesdunord.com.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9648