C'est une tentation de tout biographe de chercher dans la vie qu'il examine l'événement-clef ou, dirait un psychanalyste, la scène primitive dont tout découle. Il semble bien que l'arrestation et la déportation des parents de Pierre, le 30 mai 1944, aient marqué à jamais cette famille.
C'est par le convoi n°75 parti de Drancy à destination d'Auschwitz-Birkenau qu'ils sont acheminés vers l'extermination dans un calvaire qui dure trois jours et trois nuits. Une jeune déportée lyonnaise de 16 ans qui survivra à l'horreur, Nadine Heftler, a pu raconter l'effroyable entassement, la conduite vers la chambre à gaz dès l'arrivée à Birkenau. Miraculeusement, les enfants de Lucien et Margot survivent. « Pierre, écrit François Dosse, à jamais atteint par la disparition de ses parents, trop douloureuse pour envisager un travail analytique, vivra avec ce traumatisme dont il fera aussi le moteur de son travail (...) c'est dans le travail de mémoire qu'il puise le ressort de sa vocation d'historien. »
Refusant les cloisons qui séparent les périodes historiques, Pierre Vidal-Naquet établit des correspondances entre l'Antiquité grecque et les aspects dramatiques du présent. C'est ainsi qu'il relie l'atrocité et l'inertie de l'horreur encore proche aux pesanteurs académiques des historiens de l'époque, suivant un autre historien, Henri-Iréné Marrou, pour qui « le travail historique n'est pas l'évocation d'un passé mort mais une expérience vivante dans laquelle l'historien engage la vocation de sa propre destinée ».
De René Char à Pierre Nora, longue est la liste des auteurs qui croisent la destinée de Vidal-Naquet, mais c'est sans doute à partir de ses combats que se dégage l'image la plus authentique. Ainsi l'affaire Maurice Audin, ce jeune assistant de mathématiques à la faculté de sciences d'Alger, militant communiste, enlevé par l'armée puis disparu, à l'été 1957. Vidal-Naquet, souligne François Dosse, « donnera rapidement à l'affaire un retentissement spectaculaire et en fera une nouvelle affaire Dreyfus ». Il prend à partie la version des militaires et publie en 1958 un livre brûlot, « l'Affaire Audin ». Il faut se représenter l'historien écartelé entre ses recherches sur la Grèce et son combat contre la guerre d'Algérie en général et la torture en particulier.
Contre le négationnisme
Dans la France en crise des années 1980 resurgit le dernier avatar de la bête immonde, sous la forme du négationnisme et de ses sbires. L'universitaire Maurice Bardèche explique ainsi que l'extermination des Juifs d'Europe n'est qu'un mythe inventé par ceux qui ont vaincu le IIIe Reich, un « admirable montage ». Bien sûr c'est un nouveau combat pour celui dont les parents furent engloutis dans l'horreur, combat qui va principalement l'opposer à l'universitaire lyonnais Robert Faurisson. Auteur de déclarations du genre « Jamais Hitler n'a ordonné la mort d'un seul homme en raison de sa race », digne de figurer dans une « anthologie de l'immonde » selon Vidal-Naquet, qui fera condamner cet « Himmler de papier », comme d'autres négateurs de l'existence des chambres à gaz.
L'année de sa disparition, 2016, Pierre Vidal-Naquet prend encore la parole dans un colloque international consacré à l'affaire Dreyfus, il revient sur ses principaux combats. D'objet d'étude, « l'Affaire » devient une manière de considérer, un état d'esprit, un idéal d'honnêteté et de droiture. Et de reprendre une citation de Jaurès dans son ouvrage « les Preuves », paru en 1898 : « Oui, quelle est l'institution qui reste debout ? Il n'en est plus qu'une : c'est la France elle-même. »
François Dosse,« Pierre Vidal-Naquet, une vie», La Découverte, 672 p., 25 €
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