IL SUFFIT d’une astucieuse hypothèse pour que se mette en route la réflexion philosophique. Imaginons, dit Michel Lacroix, qu’il y ait un appareil pour détecter les secousses psychologiques comme il y en a pour enregistrer les vibrations de l’écorce terrestre. Il suffit de faire fonctionner cet appareil à partir du flot de paroles qui se déverse dans les conversations quotidiennes. On pourrait s’en tenir à l’échange verbal entre deux personnes proches : l’aiguille bouge sans cesse!
Filant à fond la métaphore, Michel Lacroix situe l’aiguille en petites variations, c’est la pluie et le beau temps, la santé, le small talk, diraient les Anglo-Saxons. Mais l’aiguille s’affole parce que les paroles caressent ou au contraire touchent peu à peu des sujets sensibles, agressent, vexent, déstabilisent, humilient.
De manière générale, beaucoup d’entre nous ont en mémoire le souvenir d’un mot ou d’une phrase qui ont parfois décidé d’une vie. Ce pouvait être un simple conseil d’ami, ou un jugement glaçant sur nous, nous obligeant à nous remettre en question. Contrairement aux lieux communs insistant sur le peu d’importance des mots prononcés, paroles qui s’envolent, les mots comptent et ceux qui les prononcent ont une terrible responsabilité. Pas toujours très assumée, dira-t-on à l’auteur : quelqu’un a été meurtri par ma phrase, mais insouciant de cela, j’assurerai le lendemain qu’il ne faut pas croire tout ce que je dis !
C’est dans le sympathique nœud de vipères que constitue la famille que Michel Lacroix a déclenché son petit appareil. Quoi de moins innocent, de plus offensif que ces jugements qu’on laisse tomber sur le crâne des enfants ? S’appuyant sur les travaux de l’école de Palo Alto, en particulier sur ceux de l’Anglais Gregory Bateson (1904-1980), Michel Lacroix retrace les troubles qui peuvent frapper les enfants soumis à une double injonction contradictoire, le double bind inhérent par exemple à « Sois spontané ! ».
Du même ordre peut être la disparité entre les mots doux et un ton et une mimique agacés, car le langage est plus que les simples mots. Partant, l’auteur se fait un peu psychiatre en parlant de « paroles toxiques » auxquelles il peut être tentant d’imputer certaines schizophrénies, comme le suggérait le film de Ken Loach « Family Life ».
L’art de la conversation.
Prenant aussi appui sur les travaux de l’école de Francfort (1944-1950), en particulier Theodor Adorno et Max Horkheimer, l’ouvrage montre la présence dans les pays touchés par le fascisme de « personnalités autoritaires » issues d’un type éducatif, c’est-à-dire finalement d’une manière de parler aux enfants. Théories qu’on a le droit de trouver légèrement tautologiques, car elles fondent l’adhésion à l’autorité sur la personnalité autoritaire.
« Que dois-je faire ? » est l’une des questions fondamentales de la philosophie selon Kant. Michel Lacroix lui adjoint un « Que dois-je dire ? » qui le conduit à définir une « éthique de la parole ». Bien sûr il faut que ma parole soit à tous égards « vraie », conforme au réel ? Mais, ajoute-t-il avec force, le langage n’est pas fait que de sémantèmes mais aussi de « relationèmes », c’est-à-dire de mots, de phrases, d’échanges dont la fonction est d’assurer une bonne relation entre les êtres humains.
Ce qui l’amène à réhabiliter l’art de la conversation né dans les salons du XVIIe siècle et, bravant le reproche d’éloge de la frivolité, l’art de plaire. C’est dans ces salons qu’est née la politesse, ou mieux, une civilité indispensable, car « les mots sont le ciment qui fait tenir la société ».
Réinstaller la morale au cœur de nos échanges verbaux, c’est là l’épreuve réussie par cet ouvrage, légèrement répétitif vers la fin, et qui voit son auteur constater que l’appareil détectant les secousses langagières n’existe pas. Mais Michel Lacroix en a, avec ce travail, créé un autre, qui met beaucoup d’huile dans les engrenages.
Michel Lacroix, « Paroles toxiques, paroles bienfaisantes », 143 pages, 17 euros.
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