IDEES - Des blessures et des ressources

Répétition et recommencement

Publié le 15/05/2012
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IL Y A dans l’injonction « revivre » quelque chose, une nécessité à se souvenir, à garder présent en permanence toute notre vie. « Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre », dit un célèbre adage, mais cette reviviscence n’est pas libératrice. C’est celle de la névrose qui enlise, des symptômes pas toujours déchiffrables qui reviennent. Nietzsche a souvent pris l’image peu poétique de l’intestin encombré, de la dyspepsie. « On n’arrive à se débarrasser de rien », dit-il dans « la Généalogie de la Morale », « le souvenir est une plaie purulente ».

Mais revivre, c’est tout au contraire renaître à un monde nouveau. Il peut y avoir de la répétition, mais une répétition qui libère au lieu d’enchaîner. N’est-ce pas le cas du transfert dans l’analyse ? C’est aussi le sentiment d’euphorie qui prend celui qui retrouve un ami perdu de vue.

S’appuyant sur les analyses du philosophe-médecin Georges Canguilhem, Frédéric Worms montre comment guérir, retrouver la santé, n’est pas revenir exactement à l’ancien. Guérir, c’est re-affronter un monde nouveau avec des ressources nouvelles, le saut est qualitatif.

Révolution.

« Chaque époque se définit sans doute par ce qu’elle revit », affirme l’auteur, qui se fait à ce moment historien. Nous sommes sans cesse situés « entre catastrophes et révolutions », des mots étymologiquement pleins de sursaut et de pièges. C’est la catastrophe qui peut ouvrir à un monde nouveau, alors que révolution signifie... retour au point de départ.

Analysant les thèses de François Furet sur la Révolution française, l’auteur de cet essai accepte l’idée qu’elle soit une matrice explicative de notre époque, ce à quoi on revient sans cesse. Il la met toutefois en regard de la Deuxième Guerre mondiale et de la Collaboration, ce fameux « passé qui ne passe pas » d’Éric Conan et Henry Rousso. Cette opposition symbolise, on le voit, les deux sens du mot « revivre », et on peut la voir à tout instant ressurgir dans le présent. L’extrême-droite défile aujourd’hui à Budapest avec des slogans inchangés, mais, en Tunisie, on a pu chasser le tyran au nom des droits de l’Homme. On a souvent accusé la gauche de ne concevoir l’avenir qu’en voulant « refaire » 1789, février 1917, mai 1968, etc., auquel cas les deux sens de « revivre » seraient négatifs.

Ce livre souvent sensible et émouvant, tissé de mille fils de soie lorsqu’il évoque l’oubli et le pardon ou l’exigence de fragilité, nous ancre aussi dans une attention à l’autre et au monde, ce qu’il nomme « ruminer ». Là encore, on retrouvera les deux sens opposés.

Frédéric Worms, « Revivre - Éprouver nos blessures et nos ressources », Flammarion, 311 p., 19 euros.

* Gallimard, Folio Essais 2009.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9126