IDEES - L’art d’être vulnérable

Sortir du terrier ?

Publié le 28/01/2013
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BEAUCOUP d’entre nous, par ces temps d’individualisme forcené, ont choisi de se protéger du monde extérieur. Entre autres détails, il faut trois codes pour parvenir à leur appartement. Dans l’une de ses nouvelles, « le Terrier », Franz Kafka décrit un animal qui a trouvé son chez soi dans un trou dans la terre. Il y est bien, même si la possibilité d’un trou creusé à l’autre extrémité l’angoisse.

Le terrier, c’est, bien sûr, dit Fabrice Midal, la tentation du solipsisme, dans lequel on s’enterre, on s’enferme, le « I, me, myself » qui m’assure un total contrôle de ma vie. Et même lorsqu’il affronte le monde extérieur, le curieux animal de la fable le fait pour vérifier que son habitat n’est pas menacé.

À l’air libre, notre contemporain se trouve livré à un monde devenu un ensemble de rouages qui le broient. Il rencontre la bureaucratie : « Les chaînes de l’humanité torturée sont faites de paperasse », dit Gustav Janouch dans ses « Conversations avec Kafka ». Et comme Joseph K. dans « le Procès », d’anonymes pouvoirs le font comparaître, ce qui suffit à signifier sa faute. Le monde de Kafka n’est pas un monde détruit mais détraqué, rappelle justement l’auteur. Ne l’est-il pas par l’argent roi, la finance casino, l’emploi et le travail déréglementés ?

Plus loin, c’est encore l’auteur de « la Métamorphose » qu’utilise le livre : Grégoire est devenu un insecte, figure terrifiante de l’homme réduit à une chose déshumanisée que l’on peut écraser car il n’est plus rien. On voit ce que cette thématique permettait d’anticiper alors.

« Faut-il brûler Kafka ? », s’interrogeait en mai 1946 un hebdomadaire communiste. Fabrice Midal s’emploie utilement à nettoyer l’image du romancier tchèque, trop marqué par une angoisse morbide. Son œuvre serait au contraire une invitation à sortir du terrier et à accueillir la vulnérabilité et la tendresse du monde, car, « pour atteindre à la grandeur, l’homme doit nécessairement passer par sa propre petitesse ».

Si captivant que soit l’ouvrage, on est en droit de penser que les problèmes entrevus par Kafka, ceux de la terreur policière, de l’individu dévoré par les Molochs totalitaires, ne sont plus tout à fait ceux de notre époque. Il n’est pas sûr non plus que l’auteur de « la Colonie pénitentiaire » se reconnaîtrait dans l’évocation du Bouddha et de la méditation, si à la mode aujourd’hui. Il aurait apprécié en revanche la fin mallarméenne de ce livre.

Fabrice Midal, « La Tendresse du monde », Flammarion, coll. « Un chemin à soi », 190 p., 17 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 9213