FORMIDABLE gamme, disions-nous, en se souvenant que le sens premier du mot formidable est « effrayant ». L’informatisation de notre univers ne cesse de s’étendre. De la diffusion des systèmes (mini-ordinateurs) à l’interconnexion (Internet) puis à l’individualisation (portables de dernière génération), nous allons vers une informatique ubiquitaire pas très rassurante et un « nuage numérique » qui ne doit rien à la mélancolie de Django.
Sous l’influence du 11 septembre 2001, s’est mis en place, montre l’auteur, un réseau de technologies numériques permettant un traçage généralisé des individus. La très récente mort de Ben Laden permet de dire qu’il était une sorte de face d’un Janus se nommant Big Brother de l’autre côté. De fait, la vidéosurveillance se présente souvent sous l’appellation souriante de vidéoprotection, et tel maire qui affirme vouloir traquer un criminel éventuel dans une commune pourra aussi faire moisson d’observations diverses, relevant parfois du pur voyeurisme.
Nos voisins anglais sont sans doute les plus surveillés, puisqu’il est impossible de se promener à Londres plus de trois ou quatre minutes sans passer dans le champ d’une caméra. Des caméras dont les enregistrements révélèrent a posteriori les visages des auteurs de l’attentat du 7/7, qu’elles ne purent empêcher pourtant.
Dans son ouvrage, Alex Türk décrit un « déferlement technologique ». Peu à peu, notre société glisse vers un système composé de millions de microcentres d’impulsion, de localisation et, avant tout, de traçages interconnectés.
Car tracés, nous le sommes à chaque instant, ne serait-ce que par notre simple passe Navigo, le passage à un péage ou les utilisations de nos diverses cartes magnétiques. Plus encore, par les puces et le système GPS, qui permettent de repérer une personne dans l’espace, en temps réel ou différé, et de la suivre.
Des caméras partout, des puces partout, insérées parfois dans les objets que nous trimbalons. Plus pervers encore, ces procédés peuvent être couplés avec des caractéristiques physiques ou physiologiques de la personne. C’est la biométrie, qui peut utiliser l’iris, la cornée, le contour de la main, le moment où la réalité rejoint les scénarios de polars et de thrillers. L’auteur cite le cas d’un contrôle dans une cantine scolaire reposant sur la reconnaissance du contour de la main. Un procédé moins attentatoire aux libertés qu’un fichier d’empreintes numérisées, dont l’utilisation future peut être mise en question.
Champ libre ?
Justement, au travers de tous ces cas, que fait donc la CNIL ? N’est-il pas temps de philosopher un peu ?
Bien sûr, elle s’interroge sur la dangerosité de ces techniques, l’atteinte à la vie privée qu’elles représentent, le consentement des citoyens qu’elles recueillent mais souvent ignorent. Il est en fait bien difficile de porter un jugement en soi sur la géolocalisation : suivre à son insu les déplacements d’un salarié, c’est mal, mais localiser une personne perdue, en état d’Alzheimer avancé, c’est bien. Quant au consentement lui-même, cette notion ne constitue-t-elle pas une aimable plaisanterie ? L’équivoque d’une vidéosurveillance présentée comme vidéoprotection conduit les foules à consentir, sans avoir le choix d’un refus.
Souvent démunie sur le fond, la CNIL, créée en 1978, peut-elle vraiment jouer son rôle face aux diaboliques astuces de la technologie ? Alex Türk, qui déplore la chute du budget alloué à la commission, ainsi que celle du nombre de ses agents, témoigne dans le détail du recul de l’intérêt porté à cette institution qui, il faut le rappeler, n’est pas étatique.
Ne tombons pas dans la paranoïa, mais on peut s’inquiéter du champ libre ainsi laissé à toutes les divagations et abus de pouvoir. Confiant lecteur, sais-tu que tu as laissé l’empreinte biométrique de tes doigts sur la page de ce sympathique journal ?
Alex Türk, « la Vie privée en péril - Des citoyens sous contrôle », Éd. Odile Jacob, 265 p., 19,90 euros.
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série