Une réflexion philosophique

Trouver un sens

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Publié le 17/07/2020
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« Qu'est-ce qu'une vie accomplie ? » : la question est posée par le philosophe François Galichet avec l'idée que donner un sens à sa vie, c'est aussi donner un sens à sa mort.

D'emblée, François Galichet nous mène au cœur du débat, avec les discussions sur la fin de vie où s'affrontèrent médecins et juristes aux Pays-Bas. Qui peut décider d'abréger les souffrances terminales lorsqu'elles deviennent intolérables ? En 2002, un médecin fut condamné dans ce pays pour avoir aidé à un patient à se suicider. Ce dernier estimait être le seul à pouvoir juger son propre cas et considérait qu'il n'avait plus rien à attendre, ayant « accompli sa vie ».

On voit très vite que sous cet aspect dramatique veille la possibilité d'une intéressante réflexion philosophique. Qu'est-ce qu'une « vie accomplie » ? En quoi le sujet lui-même serait-il le meilleur juge de cet accomplissement ? Par ailleurs, légaliser l'assistance au suicide serait bien sûr l'occasion de très dangereux « dérapages ». Autant d'interrogations qui mettent en question le sens même de la vie, conçue souvent comme la valeur absolue.

François Galichet reprend à son compte la question de Camus : il nous faut à tout instant « juger si la vie vaut ou ne vaut pas d'être vécue » (« le Mythe de Sisyphe »). Un questionnement qui dépend du sens que nous accordons aujourd'hui à l'idée même de vie. « Dans une culture qui majoritairement ne croit plus en Dieu – ou tout au moins au paradis et à l'enfer –, la vie actuelle, réelle, devient l'unique valeur qui demeure », souligne François Galichet. D'où les innombrables livres sur les moyens de parvenir à « l'épanouissement personnel ».

Ainsi s'établit le paradoxe qui constitue l'épine dorsale de ce livre : plus on aime la vie, plus on en fait la valeur absolue, et plus on cherche les moyens d'en sortir avec aisance, élégance, en souffrant le moins possible.

C'est avec beaucoup de talent que l'auteur épingle les nombreuses impasses et apories que ce sujet entraîne. Ainsi, c'est toujours en tant que nous sommes vivants que l'idée de ne plus être nous semble terrifiante. François Galichet reprend les analyses de Bergson dans « la Pensée et le Mouvant » (1934) : le néant n'existe pas en tant que tel, « je ne puis penser mon propre anéantissement sans supposer que je suis encore là d'une manière ou d'une autre ».

C'est autour de l'idée d'accomplissement que pivotent les analyses les plus acérées, ce terme signifiant à la fois la terminaison fatale et la beauté de l'achèvement que l'on trouve par exemple dans la création artistique. Mais quels que soient les habiles renversements dialectiques de l'auteur, nous n'en sortirons pas vivants.

François Galichet, « Qu'est-ce qu'une vie accomplie ? », Odile Jacob, 240 p., 22,90 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin