« La Dernière Bande », de Samuel Beckett

Un exercice de précision

Par
Publié le 28/04/2016
Article réservé aux abonnés
Theatre-Dernière Bande H

Theatre-Dernière Bande H
Crédit photo : D. MEAS

Stein, c’est une légende. On en parle avec dévotion, comme on cite les noms de Strehler, Vitez, Grüber, Chéreau. On ne cite que des morts, pardon. Peter Stein est le contemporain des plus jeunes, mais, aujourd’hui, il est un peu seul dans le paysage… Dans les années 1980, il a dirigé la Schaubühne de Berlin et parfois travaillé en France. Mais plutôt dans les grandes institutions subventionnées. À l’Odéon, il y a quelques saisons, il avait mis en scène Jacques Weber dans « Lape Prix Martin », d’Eugène Labiche. Face à Laurent Stocker, le grand Jacques était formidable.

On retrouve ces deux artistes dans un théâtre privé parisien, l'Œuvre. Celui où Frédéric Franck aura tenté de proposer l’excellence. Il a depuis renoncé, mais ce spectacle a été mis en place par lui. Peter Stein a accepté de diriger à nouveau Jacques Weber, grand interprète s’il en est. Dans « la Dernière Bande », de Samuel Beckett, il n’y a pas grand-chose à faire, à part se soumettre aux indications très longues et très précises de l’écrivain. Il a écrit en anglais « Krapp’s last tape », littéralement « la Dernière Bande de Krapp », qu’il traduit en français « la Dernière Bande ».

De très grands comédiens ont interprété ce texte pour un homme seul et un magnétophone. Quelques pages, une heure de représentation. Krapp est un écrivain raté qui commémore son passé le jour de son anniversaire en écoutant des bandes autrefois enregistrées. Peter Stein accentue le caractère clownesque de Krapp, avec sa chevelure hirsute, son nez rouge, ses grands pieds, sa manière de se déplacer ou de manger des bananes.

Il y a au cœur du texte une histoire de ratage, de rupture, d’amour abandonné. Le va-et-vient entre la voix en direct et la voix enregistrée, le balancement très subtil qui pulse les mots, tout ici bouleverse. Jacques Weber est un comédien qui sait extirper du plus profond de lui-même des accents déchirants. Un moment à part qui dit à chacun que le passé jamais ne revient et qu’on laisse fuir ce qui aurait pu être le bonheur… Du Beckett pur et brûlant.

Théâtre de l’Œuvre, à 21 heures du mardi au samedi, 15 heures le dimanche. Jusqu’au 30 juin. Avec un programme très documenté (10 €). Tél. 01.44.53.88.88, www.theatredeloeuvre.fr

 

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9492