Isabelle Huppert dans « Phèdre(s) »

Un spectacle éprouvant et vain

Par
Publié le 24/03/2016
Article réservé aux abonnés

Faire de « la fille de Minos et de Pasiphaé », un avatar d’Aphrodite est tordre d’entrée le sens. Les grands écrivains ont toujours été fascinés par les personnages archaïques et s’en sont emparés pour rêver et réinventer la mythologie et la tragédie. Mais ils avaient tout lu. On pense à Gérard de Nerval, par exemple et aux poèmes des « Chimères ». Wajdi Mouawad, indissociable du projet de Warlikowski, donne le sentiment de décisions appuyées sur des savoirs flottants, volontairement alourdis de ce que dit Aphrodite (saoule), premier personnage joué par Isabelle Huppert. Déesse, mais aussi comédienne de films « hards », chantre de la « pornographie métaphysique » (sic). Le ton est donné. On ne le quittera pas trois heures trente durant (entracte compris).

Disons la vérité de ce que nous avons éprouvé : le texte de Wajdi Mouawad est piètre, la pensée qu’il véhicule tordue. Hippolyte est un « pédé » selon Aphrodite, qui ourdit la rencontre de Phèdre et du fils de Thésée. Isabelle Huppert se déshabille à vue et devient Phèdre. Celle de Wajdi Mouawad, puis celle de l’écrivain suicidé Sarah Kane. Le premier Hippolyte est un molosse noir que Phèdre éventre. Ensuite, face à un Hippolyte humain, elle se fait la narratrice de l’action. Décrit leur coït, lui donne un coup de couteau dans le dos, le décrit, allongé dans son lit, se masturbant dans une chaussette, etc., etc.

Un médecin est là et c’est aussi Thésée. Puis surgit un nouveau personnage, Strophe, fille de Phèdre, qui vit avec Hippolyte et conseille crûment sa mère. Petit dialogue Phèdre-Hippolyte, vautré dans son lit, regardant la télé, jouant avec des petites voitures. Cela, c’est l’Hippolyte déprimé de Sarah Kane… Scène de fellation (lecteur, pardonnez-moi !). Faut-il dire, à ce moment-là : « Quelle audace, Huppert ! » ? On est déjà bien mis à l’épreuve du n’importe quoi, mais ce n’est pas fini. Hippolyte laisse entendre à Phèdre que sa fille Strophe couche avec Thésée, alors elle le gifle violemment… Strophe demande des comptes à Hippolyte. Sa mère se pend. Fin de la première partie.

On retrouve Phèdre dans le coma et Hippolyte en prison. Thésée, qui est aussi un prêtre, à son chevet. Évidemment, il va aussi y avoir une fellation entre ces deux-là. Et l’on revient au night-club du début avec la danseuse et Phèdre est à nouveau Aphrodite. Puis surgit Elizabeth Costello, héroïne de J.M. Coetzee. Elle donne une conférence et déclame au passage, avec désinvolture, un morceau du « Phèdre» de Racine. Et c’est fini. « Je vous remercie de votre attention » dit le « personnage », dit en souriant Huppert. Au public, elle a demandé endurance et politesse.

On vous passera les effets de décor, les films, la vidéo. Tout ce fatras prétentieux exhibe l’impuissance artistique et la puérilité de Wajdi Mouawad et Krzysztof Warlikowski.  On est triste, car ce sont des artistes. Mais ici ils s’égarent et entraînent dans une performance éprouvante et vaine Isabelle Huppert et l’ensemble des interprètes. Un seul moment puissant, en ouverture, lorsque Norah Krief reprend une chanson d’Oum Kalthoum. C’est peu.

Odéon-Théâtre de l’Europe. À 20 heures du mardi au samedi, à 15 heures le dimanche. Jusqu’au 13 mai. Tél. 01.44.85.40.40, www.theatre-odeon.eu.

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin: 9482