LIVRES - Les romans de la mère

Une vague de (res)sentiments

Publié le 04/03/2013
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INTITULÉ « Mother » (1), le dernier livre de Luc Lang, après une dizaine de romans, recueils de nouvelles et essais sur les arts et la littérature contemporaine, est une tentative de portrait d’une mère – sa mère ? – par son fils – l’auteur ? Un portrait tellement riche et complexe qu’il l’aborde en trois récits recommencés sur le même sujet, autour de la même personne, à la manière d’un pointilliste soucieux d’apporter toutes les nuances à son modèle.

On entre ainsi dans la vie d’Andrée, ou plutôt de la drôle de famille qu’elle a constituée, depuis le milieu des années 1950 jusqu’à sa mort, avec un fils qu’elle n’a pris en charge que lorsqu’il avait déjà  4 ans et Robert, l’homme qu’elle a introduit dans leur duo l’année d’après. Que pèsent le petit garçon et l’homme placide mais solide en dépit d’une existence semée de deuils, face à cette femme toute en fureurs, éprise avant tout de liberté ?

Tour à tour guérisseuse, médium, mystique ou chanteuse de variétés, elle quitte son mari pour des amours imaginaires, s’invente une vie merveilleuse et s’entoure de cartons, toujours prête à partir. Aussi séduisante qu’épuisante, à la fois horrible et fascinante, Andrée donne le ton d’un trio percutant, plus souvent discordant qu’à l’unisson. Mais ce qui domine finalement, c’est le chant du lien entre Robert et le fils, qui se sont mutuellement « adoptés ».

L’incapacité d’aimer.

Tristane Banon n’en a pas fini avec le désamour maternel. Huit ans après « J’ai oublié de la tuer » – et après avoir donné, en 2011, dans « le Bal des hypocrites », sa version de ses relations avec DSK et de ce qui l’a conduite à porter plainte pour tentative de viol –, la journaliste et romancière prend à nouveau comme thème, dans « le Début de la tyrannie » (2), la mère toxique.

L’enfant de son précédent roman est ici une jeune trentenaire, Alice, artiste fragile constamment dans le doute, et Maud, la mère, statue d’airain insensible et habituée à dicter sa loi, fait place à une femme atteinte d’un cancer incurable. Alice organise en urgence un dernier voyage et un dernier tête-à-tête pour tenter de comprendre celle qu’elle a toujours admiré et idéalisé et qui l’a toujours rabaissée. Alors que lui reviennent des moments du passé et des mots échangés et tandis que ses propres souvenirs d’enfance assaillent Maud, entre brutalité du père et inconséquence de sa propre mère, la morale de l’histoire se dessine : certaines personnes sont parfois incapables d’aimer. Et l’auteure pose la question de savoir comment se transmet d’une génération à l’autre cette difficulté à aimer.

Tendrement ironique.

Il y a deux ans aussi, Marie Lebey publiait un récit, « Oublier Modiano », où elle entrecroisait des épisodes de sa vie avec ceux de la vie de l’écrivain ; ce qu’elle a justifié comme étant un hommage a été dénoncé par Patrick Modiano comme une intrusion dans l’intimité de sa vie privée. Exit la polémique et retour, pour son quatrième roman, à un récit très personnel, qui se lit comme une lettre d’amour à sa mère maintenant âgée, qu’elle surnomme « Mouche’ » (3).

Marie Lebey décrit, souvent avec ironie, une relation mère-fille difficile. Des souvenirs qui auraient pu se transformer en règlement de comptes. Encore une fois, la mère est la figure toute puissante que l’enfant puis l’adolescente a autant essayé de séduire que de fuir. À la fois sous son emprise et invisible pour cette femme fantasque, qui a toujours transfiguré la réalité pour la rendre plus belle et qui, surtout après la mort de son mari, puis de sa fille aînée, s’est réfugiée dans les arts et la littérature, l’auteure montre comment elle a tout fait pour ne pas lui ressembler, pour enfin exister ; mais cela sans jamais la condamner et au contraire, en reconnaissant qu’elle lui doit son héritage littéraire.

Glissements progressifs.

Une centaine de pages suffisent pour nous immerger dans une histoire. C’est le cas de « Si j’y suis » (4), le premier roman d’Erwan Desplanques, 33 ans, journaliste à « Télérama ». Le livre est construit en trois tableaux à la fois géographiques et temporels : « Là-bas », dans les Landes, où le narrateur a passé son enfance  ; « Ici », à Paris, où il exerce le métier de correcteur ; et « ailleurs », sur une autre plage au Vietnam.

Après avoir appris que sa mère est gravement malade, Jacques part dans les Landes sur les traces de son passé et surtout de la femme qui a été la sienne, qu’il a aimée et qui est partie ; de retour à Paris, il oscille entre des collègues qui lui sont presque étrangers et l’hôpital où sa mère agonise doucement ; après la mort de celle-ci, il part au bout du monde, vers une autre plage de sable. Liant peut-être son sort au gré de la marée : les vagues vont-elles le libérer, ou l’enfoncer davantage ?

Quatre générations de femmes.

Après « les Lits en diagonale », récit de son histoire avec son frère handicapé, Anne Icart publie « Ce que je peux te dire d’elles » (5), l’histoire de quatre générations de femmes, des années 1950 à nos jours, d’un petit village des Pyrénées aux ateliers de la maison Balaguère, haute-couture, à Toulouse. À travers ce premier roman, celui d’une famille peu conventionnelle, ou mieux, d’une tribu de femmes émancipées avant l’heure, l’auteure explore avec tendresse toute la complexité des liens maternels.

(1) Stock, 300 p., 20 euros.

(2) Julliard, 188 p., 18 euros.

(3) Léo Scheer, 125 p., 158 euros.

(4) L’Olivier, 105 p., 12 euros.

(5) Robert Laffont, 318 p., 19 euros.

MARTINE FRENEUIL

Source : Le Quotidien du Médecin: 9223