Quatre pièces à voir à Paris

Variété des inspirations

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Publié le 07/10/2022
« Et pourquoi moi... », « Gabriel », « Lorsque l’enfant paraît », « Les Enfants » : quatre pièces aux inspirations variées.
« Et pourquoi moi... »

« Et pourquoi moi... »
Crédit photo : TUONG-VI NGUYEN

* Il ne vous reste plus que quelques jours pour découvrir « Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? », titre emprunté à la question de l’un des auteurs, hommes et femmes, réunis par la très entreprenante comédienne Anouk Grinberg. Il s’agit d’« écrits bruts (et non bruts) » qui charrient des interrogations, les poèmes, les pages brûlantes, les visions, les souffrances de ceux et celles qui, pour la plupart, sont mis de côté par la société. Dans des hôpitaux, des asiles. Pas tous. On entend Jules Supervielle, Henri Michaux, Emily Dickinson, Robert Walzer. Et Aloïse Corbaz, et Louis Soutter. Et des anonymes époustouflants, déchirants. On entend les voix des « autres », et on peut aussi les lire, car un livre a été publié (Le Passeur éditeur/Collection de l’art brut/Lausanne, 20,90 €). Avec des fac-similés de pages très élaborées. Une première version du spectacle avait été donnée il y a quatre ans à Avignon. Dispositif simple avec une interprète magistrale, accompagnée du compositeur et multi-instrumentiste Nicolas Repac. Pour cette reprise à Paris, Anouk Grinberg a demandé à Alain Françon de la mettre en scène. Ils ont travaillé avec passion et ce moment est aussi fascinant que passionnant. (La Colline, petite salle, jusqu’au 20 octobre, durée 1 h 15)

* Tout aussi déconcertante que ces feuillets « bruts » mais jamais naïfs, une pièce de George Sand mise en scène par Laurent Delvert. « Gabriel » est l’adaptation d’un épais ouvrage dialogué, illustration et défense de l’autonomie des femmes. Le Prince de Bramante (Alain Lenglet) a deux fils. Celui qu’il aime est père d’une fille, Gabrielle (Claire de La Rüe du Can) ; celui qu’il n’aime pas a eu un fils, Astolphe (Yoann Gasiorowski). C’est ce dernier qui devrait hériter. Pour empêcher cela, le Prince a fait élever la jeune fille comme un garçon, sous la surveillance d’un abbé précepteur (Alexandre Pavloff) et d’un serviteur dévoué (Christian Gonon). Ajoutons un ami d’Astolphe (Birane Ba), une courtisane (Elisa Erka). Et la mère d’Astolphe (Anne Kessler). Il y a quelque chose d’un roman de cape et d’épée à la Dumas, de la fièvre à la Hugo, de la mélancolie à la Musset. N’en disons pas plus, car le bonheur est dans les perpétuels retournements. C’est joué magnifiquement, sous la direction de Laurent Delvert. (Vieux-Colombier, jusqu’au 30 octobre, durée 2 heures)

* On change complètement de registre et d’époque avec le très caustique André Roussin (1911-1987), auteur à succès et Académicien français, connu pour avoir tiré un théâtre de divertissement, un théâtre de boulevard, du côté des questions sociétales, dans la France de l’après-guerre. Dans « les Œufs de l’autruche », en 1948, il questionnait notamment la manière dont un enfant homosexuel est accepté dans une famille. Dans « Lorsque l’enfant paraît », en 1951, il affronte le dossier de l’avortement. Michel Fau, qui aime éclairer des répertoires du XXe siècle, de Montherlant à Poiret, avait déjà mis en scène « Un amour qui ne finit pas », autre comédie d’André Roussin. Très originale, elle date de 1963 et demeure vive. Dans « Lorsque l’enfant paraît », la férocité que l’auteur déploie contre la famille bourgeoise et catholique qu’il dépeint fait toujours effet. Et puis il ne craint pas l’énormité de l’intrigue, une kyrielle d’enfants à naître, qui produit bien des complications désopilantes. C’est joué avec sérieux et sincérité par un groupe d’interprètes excellents, en tête desquels Catherine Frot, grandiose, et Michel Fau lui-même, excellentissimes. Mais tout le monde ici s’amuse et joue bien : Agathe Bonitzer, Hélène Babu, Maxime Lombard, impayable grand-père, Sanda Codreanu. On comprend moins la manière dont Quentin Dolmaire, le fils, est dirigé, comme très nigaud, sinon simplet. Mais on accepte et l’on rit énormement. (Michodière, pas de date de fin, durée 2 heures)

* Très intéressante est la dramaturge britannique Lucy Kirkwood, née en 1984. Éric Vigner met en scène sa pièce de 2017, traduite par Louise Bartlett, « les Enfants ». Il fait reposer son travail sur trois interprètes merveilleux et l’on est happé par l’intrigue, qui tresse intelligemment un propos très moderne (un accident nucléaire) et le bon vieux triangle des tromperies et des amours blessées. Dans la pièce, on n’est pas dans ce monde un peu âpre que nous dévoile la scénographie. C’est plus vivant, plus simple. Un couple, Azel (Cécile Brune) et Robin (Frédéric Pierrot), s’est installé là récemment. Après le tsunami qui a impacté la centrale nucléaire auprès de laquelle ils vivaient. Ils sont en retraite. Tous deux ont travaillé pour la centrale. Ils sont ingénieurs. Comme la femme qui leur rend une visite non annoncée et qui a longtemps vécu aux États-Unis. Ils ne s’étaient pas revus depuis 38 ans. Que veut Rose ? Ils ont tous les trois autour de 65 ans. Ils sont à l’abri. Contrairement à la génération des plus jeunes qui veillent sur la centrale. Que pourraient-ils faire ? Sombre et vulnérable, la Rose de Dominique Valadié impressionne. Cécile Brune, avec ce qu’Azel a encore d’enfantin, est idéale, et Frédéric Pierrot, le mobile et sans doute un peu lâche Robin, est parfait. De l’excellent théâtre. Dans un lieu privé qui ne se contente pas de rires. (Atelier, jusqu’au 27 novembre, durée 1 h 30)

 

 

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin