IDEES - Ruines et témoignages

Vestiges d’une présence

Publié le 01/03/2011
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DE NOMBREUSES appellations témoignent de la présence juive en France depuis le haut Moyen Âge : juiveries, rue aux juifs, rue de la Synagogue, par exemple. Des prés, des étangs, des fontaines furent aussi dénommés « aux juifs ». Ces communautés ont toutes disparu à la fin du Moyen Âge, il reste parfois un peu de leur littérature. Les travaux d’aménagements du territoire ont souvent entraîné la destruction du patrimoine archéologique, mais le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme ainsi que l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) ont contribué à faire renaître les communautés juives disparues.

Cet important ouvrage, dirigé par Paul Salmona et Laurence Sigal, n’esquive ni les problèmes matériels ni la leçon épistémologique, car, comme le dit Jean-Paul Jacob dans sa préface, « il ne suffit pas de fouiller, il faut aussi transformer les données du terrain en connaissance ».

Les exemples qui composent ce livre, pris aussi bien à l’étranger qu’en France, sont tous, on le devine, des cas uniques.

Vers 1300, la ville de Montpellier comprenait une riche communauté de 600 à 1 000 individus. Les fouilles ont peu à peu révélé l’existence d’un bain rituel (mikve), d’une synagogue et d’une maison d’aumône. Mais l’Histoire grince, un puits, un seul, est dévolu aux juifs, qui se voient interdire d’utiliser l’eau réservée aux chrétiens.

Autre très riche communauté, Metz, qui se développera en bonne harmonie avec le monde chrétien, jusqu’à ce que les croisés y commettent quelques massacres en 1096. Les fouilles révèlent l’existence d’un ghetto, pas totalement fermé d’un côté. S’agit-il d’un vrai ghetto ? Souvent, l’enchevêtrement des bâtiments signifie le confinement persécutoire, mais pas forcément.

De manière générale, un très grand nombre de localités françaises témoignent d’une présence juive. Ces communautés ont été chassées aux XIIIe et XIVsiècles, mais le premier arrêté d’expulsion pris par Philippe Auguste datait déjà de 1182.

Arpport culturel.

On s’est concentré sur les métiers de la banque ou la seule persécution, oubliant l’apport culturel à notre pays. Ainsi la découverte à Troyes des commentaires du Talmud et de la bible par Rachi.

Y a-t-il une archéologie juive, demande pertinemment Max Polonovski, conservateur en chef du patrimoine juif. Il pointe deux obstacles à ce qu’existe une telle spécificité. Le premier est la difficulté de fouiller au milieu d’une pulvérulence de fines couches, mais l’existence, au pire séparés, au mieux juxtaposés, de lieux juifs et chrétiens témoigne à sa manière d’un destin juif à travers les pierres.

Le second obstacle, préventif, est lié à une nécessité du judaïsme : il faut laisser les morts en paix.

On nous pardonnera de n’avoir pris que des exemples français. L’ouvrage, très bien doté de photos et de croquis cadastraux est vraiment remarquable et nous promène de Cologne à Tolède avec en tête cet air de Leonard Cohen : « Through the graves the wind is blowing, freedom soon will come. »

« L’Archéologie du judaïsme en France et en Europe », La Découverte (avec le musée d’Art et d’histoire du judaïsme et l’INRAP), 320 p., 25 euros.

* Directeur du développement culturel et de la communication à l’Institut des recherches archéologiques préventives (INRAP).

** Directrice du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, à Paris.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : Le Quotidien du Médecin: 8914