La curiosité

Vice ou vertu ?

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Publié le 16/09/2019
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Auteur de nombreux essais, professeur émérite des universités, Jean-Pierre Martin, qui avait déjà écrit « le Livre des hontes », aborde avec la curiosité un « organe fragile » dont il décrit la fécondité aussi bien que l'enfermement dangereux.

Adolescent épris des cultures les plus diverses, l'auteur montre comment cela fut balayé par une obsession politique, le marxisme-léninisme, une passion à vrai dire bien classique dans les Sixties-Seventies. Le résultat fut les ravages de l'endoctrinement, le sectarisme le plus étroit, l'impossibilité de prendre goût à ce qui n'était pas son obsession. Il était devenu « incurieux ».

Avec beaucoup de talent, Jean-Pierre Martin décrit l'actualité et les ravages de l'incuriosité dans notre monde, enrôlant dans cette vaste catégorie l'endoctrinement islamiste, l'enfermement communautaire, le dogmatisme dans les tables rondes ou les débats télévisuels. Et, de manière un peu rapide, il conclut que nous vivons tous dans des mondes qui s'ignorent. Nous sommes « incurieux les uns des autres » et le cyberespace dans lequel nous vivons fait de nous des sujets égocentrés.

Mais il y a un autre versant, c'est l'aspect voyeur, fouineur, homme de l'ombre. Selon Freud, au départ de toute curiosité, il y a l'enfant caché pour épier l'intimité de ses parents. La curiosité tombe facilement dans la contemplation obscène. « Laissons à ses pulsions mauvaises le voyeur pris dans la sérialité de la foule, le fouineur, l'indiscret, le lyncheur en puissance. »

Cependant, Jean-Pierre Martin introduit grâce à Michel Foucault une nuance plutôt… curieuse. « La curiosité est un vice qui a été stigmatisé tour à tour par le christianisme, par la philosophie et peut-être même par une certaine conception de la science », dit l'auteur d'« Histoire de la folie ». Loin de recéler quelque futilité, le mot suggérerait le « souci », le soin que l'on prend de ce qui existe, une variante du « care », et même une désinvolture à l'égard des hiérarchies traditionnelles.

Il reste que la curiosité doit être pensée comme toujours sur le qui-vive. « Elle ne cherche pas, elle trouve », dit Jean-Pierre Martin. Souhaitons que jamais ne se referme totalement la boîte de Pandore.

Jean-Pierre Martin, « La Curiosité - Une raison de vivre », Autrement, « Les Grands Mots », 266 p., 19 € (en librairie à partir du 18).

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin