Nos valeurs mises à mal ?

Vieilles peurs, nouveaux choix

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Publié le 09/10/2017
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Idées-Tavoillot

Idées-Tavoillot

La morale décline, la violence est devenue la règle, nous avons perdu nos repères : on reconnaîtra là de vieilles, et même éternelles, plaintes, sans doute franco-françaises. Mais si on regarde de très près ces ritournelles de la douleur, on peut apercevoir tout autre chose.

Prenons le cas de l'Autorité. On voit bien que l'obéissance à un commandement divin, au professeur ou au patron ne peut plus nous satisfaire. L'Histoire nous a appris à nous méfier des leaders charismatiques, et même la Science n'a jamais eu aussi peu de certitudes, en dépit de ses avancées. En fait, ce sont moins les fondements des valeurs qui aujourd'hui s'estompent ou vacillent que leurs domaines d'application.

En effet, « au fur et à mesure qu'augmente la maîtrise par les hommes de leur existence dans le monde, le champ des interrogations éthiques s'étend aussi ». Ainsi, aucune tradition ne peut vraiment nous éclairer sur ce qu'il faut faire en matière de clonage ou de thérapie génique. Qui nous dira s'il est ou non moral de choisir la couleur des yeux de ses enfants ?

Ajoutons à cela que la société multiplie les valeurs et les points de vue tout en avançant. Étudiant les formes de pouvoir, Pierre-Henri Tavoillot y repère la pression des victimes, la compassion, la sollicitude, comme si la souffrance faisait autorité. Un critère relativement récent et discutable.

Une façon de dire que nous sommes à une époque où les exigences de l'individu sont reines. Comment cela se conjugue-t-il avec les nécessités de la vie commune ? Il semblerait que cet affrontement conduise à un double échec : un individu frappé de désertion civique et une crise de la représentation, et, du côté du social, crise de l'école et embourbement de l'État-providence.

Néo-et posthumains ?

Allons-nous, se demande l'auteur, vers des « néohumains », de superindividus débarrassés de la naissance par le clonage, et bientôt de la mort, car devenus posthumain ? Ce sont ces êtres que décrivait de manière plutôt ricanante Michel Houellebecq dans « la Possibilité d'une île » (Fayard, 2005).

Incontestablement, ces « êtres » auront partiellement éradiqué la violence qui, si souvent, submerge nos sociétés. Une affirmation que le livre tempère d'ailleurs assez vite : nous venons de vivre dans beaucoup de pays européens trois générations sans guerre.

Reprenant les analyses de Tocqueville, le philosophe montre que l'évolution vers l'égalisation des conditions sociales a aussi généralisé l'envie. Déjà, Jean-Jacques Rousseau faisait découler le Mal de la comparaison et de la jalousie (« Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes »).

Non, nos sociétés ne sont pas plus violentes qu'autrefois. Elles ont même réintroduit une certaine douceur, comme le montre la notion de « care ». En revanche, la sensibilité à la violence s'est accrue et affinée.

« Penser, c'est peser », disait Alain. Et ceux qui ont assisté aux conférences de Pierre-Henri Tavoillot connaissent sa volonté de clarté et d'équilibre… Trop, peut-être, car il se tient souvent dans un mi-lieu, comme s'il voulait désarmer les pensées extrêmes. C'est aussi parce qu'il considère que nous sommes arrivés à un consensus sur certains points : acceptation de l'État-providence, système mixte en économie, pluralisme politique.

Même si on sent parfois chez lui comme une nostalgie du Tragique que rien ne pourra abolir.

Odile Jacob, 272 p., 22 €

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du médecin: 9608