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Dossier

François Braun, ministre de la Santé et de la Prévention

« Notre objectif est de faire sauter des barrières dans les zones sous-denses »

Par Aurélie Dureuil et Bénédicte Gatin - Publié le 10/10/2022
« Notre objectif est de faire sauter des barrières dans les zones sous-denses »


VOISIN/ PHANIE

Alors que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) arrive au Parlement, que le volet santé du Conseil national de la refondation (CNR) s’est ouvert le 3 octobre et que les négociations sur la convention médicale devraient démarrer dans les prochaines semaines, le ministre de la Santé et de la Prévention a accordé une interview au Généraliste.

Augmentation du nombre d’assistants médicaux, 4e année de DES, consultations de prévention, négociations… François Braun détaille les mesures phares pour les généralistes.

Vous avez annoncé, le 3 octobre, l’objectif de 10 000 postes d’assistants médicaux en 2025. Quels seront les leviers pour accompagner les médecins généralistes dans leur embauche ?

François Braun : Notre objectif de 10 000 assistants médicaux s’inscrit au regard des 3 500 que nous avons déjà aujourd’hui. Chaque assistant médical est une augmentation du temps de soin et surtout une augmentation de patientèle de l’ordre de 10 %. Il est évident qu’il faut continuer. Pour l’instant, le dispositif est soumis à un certain nombre de contraintes. L’objectif est de faire sauter ces barrières, essentiellement dans les zones sous-denses, pour faciliter la mise en place dans ces territoires, avec une aide comme c’est le cas aujourd’hui.

Tout l’intérêt du Conseil national de la refondation (CNR) est de mettre tout le monde autour de la table, professionnels, patients et élus, pour qu’ensemble ils trouvent les solutions les plus adaptées aux besoins des territoires et des populations.

Des mesures seront-elles prises pour les médecins proches de la retraite et qui pourraient être dissuadés de mettre en place un salariat ?

F. B. : Là aussi, tout est ouvert dans la discussion. Nous aurons des adaptations en fonction du CNR et des discussions à l’échelle des territoires. Si, dans un territoire, un médecin qui a 60 ans ou 62 ans veut continuer à exercer et voudrait un assistant médical pour trois ou quatre ans, nous ferons en sorte qu’il ait un assistant médical pour cette période. Nous serons toujours dans la logique de droits et devoirs, de responsabilité, besoin, engagement… mais réciproques. Nous pouvons soutenir financièrement le recrutement de cet assistant médical mais il faut qu’il y ait une augmentation de patientèle en regard, pour permettre à plus de patients de trouver un médecin.

On imagine bien, et c’était un peu tracé, le développement du service d’accès aux soins (SAS) partout sur tout le territoire l’année prochaine - François Braun

Les mesures sur l’accès aux soins urgents et non programmés de cet été ont pris fin le 30 septembre. Prévoyez-vous d’en prolonger ?

F. B. : Certaines mesures seront prolongées car le bilan est globalement positif. L’Igas a rendu fin septembre ses deux rapports : l’un spécifique sur la régulation médicale et l’autre sur l’ensemble des mesures. Nous allons présenter ces résultats au groupe qui a suivi pendant tout l’été leur mise en œuvre et évaluer ensemble ce qui doit être prolongé, ce qui doit évoluer et ce qui ne s’est pas révélé pertinent. Sur cette base, j’annoncerai très prochainement la suite qui sera donnée à ces mesures. On voit bien qu’une mesure comme la régulation médicale a permis de diminuer de 6 % la fréquentation des urgences cet été. Ce n’était jamais arrivé. Donc on imagine bien, et c’était un peu tracé, le développement du service d’accès aux soins (SAS) partout sur tout le territoire l’année prochaine. Sur le supplément de 15 euros pour les soins non programmés, outre la disposition de l’avenant 9, les généralistes me disent que c’est plus simple pour eux d’avoir la possibilité de libérer des plages et d’avoir cette majoration, donc c’est évident que je vais demander que ce point soit discuté dans la future convention médicale.

Cette majoration a pourtant été peu utilisée. Vous citiez à l’université d’été de la CSMF une mise en œuvre par 4 % des généralistes.

F. B. : Oui, cela a été assez peu utilisé mais il faut le temps que les acteurs se l’approprient. C’était l’été. Les résultats de septembre étaient en hausse par rapport à ceux d’août. Il y a des mesures qui n’ont pas atteint toute leur vitesse de croisière car elles n’ont pas eu le temps de se mettre en place. Je pense notamment au partage de la pénibilité de la permanence des soins entre public et privé. Des choses sur lesquelles il va falloir que l’on reste un peu plus vigilants.

Concernant les difficultés actuelles de l’accès aux soins, a-t-on une idée de l’impact sur la santé des Français ?

F. B. : L’espérance de vie en bonne santé est stable depuis 10 ans, on est donc en droit de s’interroger sur cette stabilité. Il y a des signaux macro qui me préoccupent aujourd’hui, comme l’écart de sept années d’espérance de vie entre un ouvrier et un cadre. C’est inacceptable. On manque parfois de signaux à l’échelle micro, ce que pourraient apporter le CNR et l’analyse des besoins de santé à l’échelle des territoires. Nous savons par territoire combien il y a de personnes qui n’ont pas de médecin traitant ; parmi ces personnes, la Sécurité sociale sait identifier les 600 000 personnes en ALD.

La mesure sur la 4e année de DES de médecine générale du PLFSS 2023 fait couler beaucoup d’encre. Quelles formes pourraient prendre les incitations pour la réaliser en zones sous-denses ?

F. B. : Cette 4e année, il faut être clair, c’est un engagement du président de la République pendant sa campagne. J’avais rencontré à l’époque (François Braun était le représentant santé d’Emmanuel Macron pendant la campagne, ndlr) l’ensemble des représentations des étudiants, ils étaient tous d’accord, se plaignant de ne pas avoir de formation suffisante sur la gestion d’un cabinet médical, dans les champs de la pédiatrie et de la gynéco-­obstétrique, par exemple. C’est dans ce cadre que nous proposons que la durée de ce DES soit portée à quatre ans. De plus, c’est un alignement de la formation de médecin généraliste sur les autres spécialités. Ils étaient les seuls à ne pas avoir ce statut de docteur junior. Il s’agit bien de médecins thésés mis en autonomie, en responsabilité avec un maître de stage universitaire (MSU) dans le cadre d’un parcours universitaire parfaitement identifié. C’est une année de formation, dont il y a besoin et qui va se faire en ambulatoire. J’insiste là-dessus. Et dans la situation actuelle, comme pour les assistants médicaux, il y aura des incitations plus fortes dans les territoires sous-dotés, même s’ils représentent quasiment la totalité du territoire national. C’est tout le sens de la mission que nous avons confiée, avec Sylvie Retailleau (ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ndlr), à quatre professionnels fins connaisseurs du domaine. Nous attendons de cette mission d’experts qu’elle nous dise les modalités : comment articuler ce programme, comment mettre en place cette formation de gestion de cabinet, quels sont les besoins de MSU et comment les former. Ils ont rencontré les étudiants fin septembre. Les étudiants nous disent : « quand on sort de DES, on fait des remplacements car on n’est pas prêts pour s’installer ». Je veux qu’ils soient prêts à l’issue de cette 4e année de DES.

Je suis opposé à la coercition, pas d’un point de vue dogmatique mais d’un point de vue pragmatique. Parce que ça ne fonctionne pas - François Braun

Comment éviter que ça ne se transforme en coercition ?

F. B. : Je suis opposé à la coercition, pas d’un point de vue dogmatique mais d’un point de vue pragmatique. Parce que ça ne fonctionne pas, comme l’expérience d’autres pays le montre. Ce que l’on présente comme une solution miracle risque d’avoir exactement l’effet inverse. Déjà, parce que nous n’avons pas pléthore de médecins : je ne vois pas très bien là où on va prendre des médecins pour les mettre ailleurs. Dans le meilleur des cas, on va avoir des mercenaires qui vont venir trois ans bénéficier des aides et partir. C’est ce qui se faisait il y a 25 ans au Québec et, depuis, ils ont changé complètement leur fusil d’épaule. Et dans le pire des cas, les étudiants ne choisiront plus médecine générale, ils se dirigeront vers d’autres spécialités ou alors ils ne s’installeront plus en libéral, exerceront dans des maisons de santé qui ouvrent un peu partout et qui, en plus, permettent de ne travailler ni la nuit ni le week-end, mais ça, c’est un autre sujet auquel je veux m’attaquer aussi. Et, donc, on aura encore moins de solutions dans les territoires. Il n’y a pas de solution unique mais un panel de solutions qui permettent de maintenir les gens dans ces territoires. Car nos concitoyens ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas des incitations claires pour que les médecins s’installent dans les zones sous-denses.

Le PLFSS prévoit également trois consultations de prévention à des âges clés. Quelle sera la place des généralistes dans ces consultations ?

F. B. : Bien entendu, le médecin traitant aura une place centrale dans le dispositif. Mais ces rendez-vous de prévention n’ont d’intérêt que s’ils ouvrent sur un parcours de soins et si l’on va chercher les Français qui sont les plus éloignés des soins. Il faut donc que n’importe quel professionnel de santé puisse faire entrer un citoyen dans un parcours de prévention, dès lors que le médecin traitant garde sa place de coordinateur. C’est vraiment la stratégie du « aller vers » les Français. Ma volonté, c’est que cela devienne une habitude de se dire, à certains âges : « je fais le point ». Faire le point sur son activité physique et sportive mais aussi sur certains risques particuliers en fonction de l’âge. Nous avons énormément de chemin à parcourir. Par exemple, seulement 2 à 3 % de jeunes filles entre 12 et 16 ans et 0 % de garçons ont effectué la consultation de santé sexuelle. C’est un vrai besoin non couvert !

Au-delà de la santé sexuelle, qui figure en bonne place dans le PLFSS, quelles sont vos autres priorités en matière de prévention ?

F. B. : L’exercice physique est un axe que je veux appuyer de manière très importante. Nous allons lancer dans peu de temps une mission spécifique « sport et santé », avec l’évaluation des maisons sport-santé, l’évaluation des prescriptions d’activité physique. Avec ma collègue Amélie Oudéa-Castéra (ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, ndlr), nous voulons profiter de l’impact que vont avoir la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques pour faire progesser cette pratique d’activité physique dans tout le pays. Quatre cancers sur dix, huit maladies cardiovasculaires sur dix, pourraient être évités simplement par notre mode de vie, et la pratique sportive permet déjà un certain nombre de choses.

La fin de la prise en charge des indemnités journalières pour les arrêts de travail en téléconsultation hors médecin traitant ne pose-t-elle pas la question de l’accès à un médecin traitant ?

F. B. : Clairement, non. Ces arrêts de travail par télémédecine, c’est une dérive, en tout cas pour les médecins qui ne connaissent pas le patient. 110 000 arrêts de travail ont été prescrits de cette manière en 2021 et ce sera probablement le double cette année. Or le profil des patients qui en ont bénéficié est exactement le même que la population générale, il n’y en a pas plus qui sont dans des déserts médicaux. D’ailleurs, 80 % ont un médecin traitant. Et si on regarde ce qui suit ces arrêts de travail, la majorité ne sont pas suivis d’autres actes remboursés. Cela interpelle !

Pour la future convention, la lutte contre les inégalités d’accès à la santé étant un axe très fort que je veux porter, tout comme celui de la prévention, ces deux orientations devraient apparaître de manière importante - François Braun

Quels seront les orientations et le calendrier de la lettre de cadrage pour l’Assurance maladie pour la future convention médicale ?

F. B. : Il est évident qu’il y aura certains axes comme l’encouragement du travail en zone sous-dense, le travail collaboratif entre professionnels de santé ou encore l’exercice coordonné. Plus généralement, la lutte contre les inégalités d’accès à la santé étant un axe très fort que je veux porter, tout comme celui de la prévention, ces deux orientations devraient apparaître de manière importante.

Les médecins attendent aussi des revalorisations des rémunérations et des simplifications de cotations, notamment. Qu’en sera-t-il ?

F. B. : Pour les revalorisations, ce sera une négociation, dans la logique de droits et de devoirs que je souhaite mettre en place. Quant à la simplification, elle est bien sûr indispensable, que ce soit pour la médecine de ville comme pour l’hôpital. Nous avons trop de bureaucratisme, trop de tâches administratives qui pourraient ne pas être faites ou être faites complètement autrement. Car nous avons aussi les assistants médicaux, dont c’est le rôle. Tout est lié. La simplification passera aussi par le fait de redonner du temps médical aux soignants.

Vous avez lancé, le 3 octobre, le CNR. Comment cela va-t-il s’articuler avec le PLFSS 2023 et la future convention médicale ?

F. B. : La fin des discussions du PLFSS devrait nous amener début novembre. Des choses auront donc déjà émergé des CNR territoriaux. Je ne m’interdis pas de les proposer au fil de l’eau, y compris dans le PLFSS de cette année. Mais tout ne doit pas passer par la loi. Il y a des mesures réglementaires qui peuvent passer par des décrets, d’autres modes législatifs. Avec le CNR, dès qu’on va avoir une idée qui répond à un besoin, qui fonctionne, qu’on va pouvoir évaluer, à nous de voir comment on la propose sur l’ensemble du territoire, dans quel cadre réglementaire, avec quel financement, etc. C’est une nouvelle méthode de travail. On ne va pas faire le CNR d’aujourd’hui au 31 décembre puis prendre les décisions en janvier. Cela va se faire au fur et mesure, en permanence. Je le répète : le CNR, c’est de l’action, le temps du diagnostic est terminé.  

La semaine dernière, vous avez installé le Covars. Quelles seront les priorités pour la gestion des épidémies ?

F. B. : Le rôle du Covars est d’éclairer le gouvernement avec une veille sanitaire et la formulation d’alerte le cas échéant, véritablement dans une logique One Health sur la santé dans toutes ses composantes. Cela transparaît dans sa composition très large, avec des vétérinaires, des sociologues, des spécialistes des épidémies, des virologues, etc. La mission que nous leur avons confiée avec Sylvie Retailleau est d’anticiper les risques qui se présenteront, dans une logique de risques environnementaux au sens large.

Le nombre de généralistes baisse actuellement mais cette tendance devrait s’inverser dans quelques années. Comment anticipez-vous cette période ?

F. B. : C’est tout un chantier, que j’ai confié à Agnès Firmin Le Bodo (ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, ndlr). Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir quels seront nos besoins dans 5 ans – car les médecins sont déjà en train d’être formés –  mais ce qu’ils seront en 2030 et en 2050. C’est ça, le véritable enjeu. Comment on imagine notre santé à cette époque, quels seront nos besoins par profession et pour les médecins par spécialité. Ça ne sert à rien qu’on booste des spécialités aujourd’hui si on n’en a plus besoin après-demain. Par exemple, il y a une époque, quand vous aviez un ulcère, on vous opérait. Donc on avait plein de chirurgiens digestifs. Puis sont arrivés les inhibiteurs de la pompe à protons et on n’opère plus les ulcères. Les ophtalmologues sont aussi un bon exemple : le développement des orthoptistes a fait évoluer le métier, les ophtalmologues sont plus orientés maintenant sur de la chirurgie et moins sur du bilan standard. Notre enjeu est de trouver des solutions pour le présent mais aussi pour l’avenir.

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