Tribune

« L’accès aux soins de premier recours est une priorité nationale »

Publié le 27/06/2025
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Face aux difficultés d’accès aux soins, des médecins et acteurs du système de santé dressent un constat alarmant et appellent à faire, sans délai, de la santé une priorité nationale.

Les Français sont confrontés à des difficultés croissantes pour accéder aux soins notamment dans les zones rurales ou périurbaines : 12 % d’entre eux n’ont pas de médecin traitant, médecins partis à la retraite non remplacés, absence de généraliste à proximité, délais souvent importants pour un rendez-vous chez un spécialiste, dépassements d’honoraires dans certaines spécialités très majoritairement en secteur 2. La baisse des durées de séjour à l’hôpital avec le développement des alternatives à l’hospitalisation, les fermetures de lits et l’accélération des restructurations hospitalières n’y sont pas étrangères. Les transferts de charge sur la médecine de ville insuffisamment anticipés concourent avec la suppression de l’obligation d’assurer la permanence des soins pour les généralistes, à l’engorgement des urgences hospitalières.

Les situations sont diverses selon les territoires et les caractéristiques démographiques et sociales des populations : patients âgés plus nombreux et souvent porteurs de pathologies chroniques ; augmentation de la précarité ; inégale répartition des professionnels entre les territoires ; baisse du nombre de médecins en exercice en raison du malthusianisme des pouvoirs publics qui ont choisi de réduire le nombre de médecins pour baisser les dépenses de l’Assurance-maladie avec l’instauration en 1971 d’un numerus clausus pour l’accès aux études médicales ; évolution des pratiques et des modes d’exercice des professionnels. Ces derniers souhaitent travailler en équipe et le salariat leur parait souvent le gage d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Enfin, la progression des connaissances et des techniques et un accès plus large des patients à l’information, soumettent les professionnels à des exigences accrues.

Une multiplication des mesures

Des réformes ont contribué depuis les années 2000 à une structuration des prises en charge : desserrement progressif puis suppression en 2021 du numerus clausus ; désignation d’un médecin traitant, le plus souvent généraliste, pour coordonner les parcours de soins ; dossier médical partagé ; création de maisons de santé pluridisciplinaires et des communautés professionnelles de territoires de santé (CPTS) créées par la loi santé de 2016 ; développement des réseaux de soins. De nombreuses aides de l’État, de l’Assurance-maladie ou des collectivités sont proposées pour faciliter l’installation de jeunes médecins dans les territoires sous-dotés.

Les difficultés se sont plutôt aggravées

Chacun s’accorde pour constater que la suppression du numerus clausus n’aura pas d’effets à court terme : délais de formation des nouveaux médecins ; capacités d’accueil limitées des facultés de médecine. Seule une approche globale à l’échelle territoriale permettra de surmonter les défaillances du système de santé. La proposition de loi du député Garot limitant l'installation dans les zones surdotées est opérationnelle pour certaines spécialités mais a peu d'impact pour la médecine générale où les zones surdotées tiennent du mirage. La proposition de loi du sénateur Mouiller incitant à des consultations avancées dans les zones sous-dotées, reprise par le Premier ministre, peut être utile à condition d'associer médecins et élus à la définition des “zones rouges". Pour accompagner une médecine de parcours, il faut développer les coopérations entre équipes hospitalières et professionnelles du soin exerçant en ville ce qui suppose de réformer les modes de financement. Pour attirer les jeunes professionnels, le métier de médecin de proximité qui permet de suivre un patient dans la durée et sa singularité doit être mieux valorisé. Pour inciter les jeunes issus des zones sous-médicalisées à rejoindre les professions du premier recours dont la médecine générale, il faut les sensibiliser dès la classe de première au lycée par une option santé et systématiser la création d’un enseignement en 1re année de faculté dans chaque département. L'exercice médical ne peut qu'être pluridisciplinaire, préventif comme curatif en coordination avec l'hôpital et les autres professionnels de santé. La fluidité entre les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et les CPTS, associant hospitaliers et professionnels de santé libéraux, doit devenir réalité. Dans les territoires enclavés ou en grandes difficultés sociales peu attractifs pour des libéraux, les GHT pourraient être mobilisés pour créer des centres de santé polyvalents.

Intégrer tous les acteurs du 1er recours

Ces mesures très médiatisées ne sont qu'un volet d'une politique territoriale de santé qui doit intégrer tous les acteurs du premier recours – généralistes, médecins urgentistes, infirmières, paramédicaux, pharmaciens, mais aussi les professionnels du médico-social, élus et usagers – dans la construction des parcours de soins. Les jeunes médecins sont davantage demandeurs d’accompagnement à l’installation, de services publics de proximité et de qualité de vie que d’aides financières. La pratique en maisons de santé pluriprofessionnelles ou en centres de santé, le développement de nouveaux modes de rémunération, le numérique et l'IA sont en train de transformer l'exercice en soins de premier recours. Une véritable collaboration entre médecins et professionnels non médicaux doit lever les préventions de médecins, trop soucieux de leurs prérogatives, envers le partage des tâches encore insuffisamment développé.

Enfin, face à la demande de soins non programmés, le développement des services d'accès aux soins (SAS) entre l'hôpital et la ville, et le rétablissement de l’obligation de la permanence des soins ambulatoires, selon des modalités à définir, sont indispensables. Les soins non programmés demandent un suivi auquel l'éclosion incontrôlée de centres de soins non programmés au statut dit associatif ne répond pas.

L'État, l'Assurance-maladie, les professionnels de santé, les élus, sans oublier les usagers, sont les acteurs de ces transformations. La santé est une priorité nationale. Le temps presse !

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Signataires : Marie-Laure Alby, médecin généraliste, Dominique Demangel, ancienne maire adjointe Paris XVIIIe, Claude Pigement, médecin spécialiste, membre du conseil d’administration de l’ARS-IDF, Bruno Liffran, directeur d’hôpital honoraire, Étienne Caniard, président honoraire de la Mutualité française, Édouard Couty, ancien magistrat à la Cour des comptes, ancien directeur général de l’hospitalisation et de l’offre de soins au ministère de la Santé, Bernard Elghozi, médecin généraliste, ancien praticien hospitalier, Patrick Goudot, professeur de médecine, Agnès Jeannet, ancienne inspectrice générale des affaires sociales, Jean Mallot, ancien vice-président de l’Assemblée nationale, Denis Mechali, ancien praticien hospitalier, Joël Pannetier, praticien hospitalier, vice-président de la CME du CH du Mans, Antoine Pelissolo, professeur de médecine, psychiatre, Philipe Sopena, médecin généraliste, Thierry Philip, professeur de cancérologie, Emmanuel Vigneron, professeur émérite des universités

Source : Le Quotidien du Médecin