PAR LA Pr KARINE LACOMBE - Les progrès thérapeutiques dans le champ de l’infection à Sars-CoV-2 ne cessent de s’amplifier depuis 24 mois, à mesure que la pandémie change de visage. Aux pneumonies gravissimes des premières vagues, la réponse apportée s’est basée sur la dexaméthasone qui a permis de diminuer de 25 à 30 % la mortalité hospitalière. Puis la vaccination en deux doses a évité nombre d’hospitalisations et de décès, tandis que le rappel par une 3e dose a optimisé l’efficacité vaccinale contre Omicron.
Les immunomodulateurs comme le tocilizumab et plus récemment le bariticinib ont renforcé l’intérêt de la dexaméthasone en permettant de gagner 10 à 15 % d’efficacité supplémentaires chez les patients avec des formes sévères de Covid-19. Puis, les toutes dernières molécules basées sur la technologie innovante des anticorps monoclonaux ont répondu à une partie des besoins non couverts par la vaccination, en offrant une couverture anticorps en prophylaxie pré-exposition aux patients immunodéprimés et post-exposition aux personnes immunodéprimées ou présentant des facteurs de risque de forme grave et non vaccinés. Leur indication a été également élargie aux patients hospitalisés avec une infection prouvée, des symptômes datant de moins de cinq jours et pas d’oxygénorequérance.
Pourtant, l’utilisation de plus en plus large de ces différentes options thérapeutiques a permis de pointer leurs limites. La plus importante concerne les anticorps monoclonaux : l’efficacité de la plupart de ceux arrivés sur le marché ces 9 derniers mois a été extrêmement réduite avec le variant Omicron dont les nombreuses mutations affectent particulièrement la protéine Spike, les rendant totalement (bamlanivimab/etesevimab, casirivimab/imdevimab) ou partiellement (tixagevimab/cilgavimab) inactifs. Seul le sotrovimab garde une activité (malgré tout impactée) sur omicron en curatif précoce (moins de 5 jours de symptômes) chez les patients non oxygéno-dépendants.
La deuxième limite de tous les traitements actuels vient du contexte de leur utilisation : leur galénique et les précautions d’emploi qu’ils nécessitent les destinent principalement à un usage hospitalier… alors que depuis le début de la pandémie, la clé de la limite de saturation des hôpitaux tient en un concept : traitement précoce efficace en ambulatoire.
Nirmatrelvir/ritonavir : trois raisons d'exprimer des réserves
Le nirmatrelvir/ritonavir répond-il à cet impératif ? Sur le papier, le Paxlovid a tout pour plaire : prescription ambulatoire, prise orale matin et soir pendant 5 jours, pour une infection covid non grave survenant chez des patients avec ou sans anticorps anti-SARS-CoV2 mais avec facteurs de risque d’évolution vers une forme sévère (efficacité rapportée de l’ordre de 80 %), mécanisme d’action (basé sur l’inhibition de la protéase, une enzyme essentielle au cycle de réplication virale) le rendant totalement insensible aux mutations présentées par les variants du Sars-CoV-2.
Alors, pourquoi exprimer des réserves ? D’abord à cause des nombreuses interactions potentielles liées au boost par le ritonavir, puissant inducteur enzymatique, que les spécialistes du VIH connaissent bien puisqu’il entre dans la composition de certaines trithérapies. Associé par exemple aux corticoïdes, il peut induire des syndromes de Cushing iatrogènes impressionnants.
Ensuite, car il n’a pas encore été évalué chez les patients immunodéprimés, qui expriment souvent une forte charge virale, et qu’une monothérapie antivirale porte un risque intrinsèque d’induction de mutations d’échappement thérapeutique, comme cela a été vu avec le remdesivir.
Enfin, et ce n’est pas la moindre des limites, aucun résultat des essais de phase 2 et 3 n’a été publié dans des revues à comité de lecture jusqu’à présent, donc soumis au regard critique de ceux appelés à utiliser cette molécule. Seules les instances réglementaires ont eu accès aux données cliniques nécessaires à l’obtention d’une autorisation d’utilisation en accès précoce.
Que faut-il en penser ? Bien sûr, on ne peut que se réjouir de l’élargissement des options thérapeutiques en ambulatoire : avec la vaccination, c'est probablement l’une des clés majeures de la sortie de crise. Le prescripteur enthousiaste ne devra cependant pas se départir de son regard critique. Effets indésirables, interactions médicamenteuses, échec de traitement : autant de variables qu’il faudra sans faute faire remonter aux instances réglementaires pour que les données de vraie vie permettent de définir au mieux la place de cette molécule dans le traitement précoce de la Covid-19.
Chronique à paraître dans « Le Quotidien du Médecin », édition du 4 février.
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