Je suis le chef de service de réanimation du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon. Nous sommes un hôpital de l’Est parisien de près de 350 lits, avec en temps normal 13 places de réanimation. La réanimation est une spécialité qui jusqu’alors était finalement peu connue du grand public ; pourtant, nous sauvons des vies tous les jours ! Évidemment, depuis plusieurs semaines, nous avons dû drastiquement étendre nos capacités : notre hôpital prend en charge des patients Covid ; près de 70 à ce jour… Et nos lits de réanimation sont pleins quasiment en permanence, depuis de début de l’épidémie.
Mes confrères et moi-même faisons partie des soldats armés d’une guerre insidieuse… La première, depuis que la réanimation existe, où il faut ventiler tous les patients infectés admis dans le service. En ce qui me concerne, l’épidémie de coronavirus est la pire crise sanitaire jamais vécue après 30 ans d’exercice de la réanimation, même en comparaison avec l’épidémie du sida et de la grippe H1N1.
Pourtant, je suis un médecin réanimateur français. Et on ne peut pas être médecin réanimateur français sans pousser un petit cocorico… Car la France est la mère patrie de cette spécialité. Ce sont les Français qui ont créé le concept même de service de réanimation, plus exactement les équipes de l’hôpital Claude-Bernard et Necker, après la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, c’est l’épidémie de poliomyélite qui avait incité ces médecins à créer des services entiers dédiés à la réanimation. La ventilation artificielle a été inventée et développée à cette époque. À partir de ce moment-là, cette invention française s’est développée dans le monde entier.
En ce qui concerne l’épidémie actuelle, elle est donc sans précédent, à la fois en termes de rapidité d’expansion et d’intensité. Il était clair dès le départ que la réanimation serait au cœur de la guerre contre le virus. Notre établissement ayant un service de réanimation et des urgences vitales, nous savions que nous serions concrètement, rapidement, en première ligne.
Toutes les équipes à 200 %
Alors l’hôpital tout entier s’est mobilisé très tôt pour anticiper l’afflux de malades infectés. Mobilisation est presque un faible mot… toutes les équipes sont à 200 % ! La cellule de crise, les directions générale et médicale et les principaux acteurs de cette crise se réunissent au moins trois fois par jour depuis plusieurs semaines pour appliquer et souvent anticiper les consignes des autorités de santé. Tous les personnels administratifs, médicaux et paramédicaux sont mobilisés dans un esprit de solidarité, d’efficacité, de calme et d’humanité.
Le personnel est soumis à rude épreuve, avec l’augmentation de la charge de travail, les mesures de protection, et le risque permanent d’attraper le virus au contact des malades ayant une charge virale importante. C’est pourtant devenu notre quotidien. Malgré cela, tout le monde fait preuve d’un grand professionnalisme, sans compter ses heures, sans jamais se plaindre, et souvent en conservant sa bonne humeur. En dehors de l’hôpital, les témoignages de sympathie et de générosité sont essentiels : la boulangerie à côté de mon domicile m’offre tous les jours un carton plein de viennoiseries pour notre équipe ! Ça paraît un détail, mais ça ne l’est pas : c’est aussi ça qui nous fait tenir le coup.
Nous n'avons jamais rien connu de tel
Nos capacités de prises en charge des patients en état grave ont été étendues au maximum. Comme dans la plupart des hôpitaux, les services de réanimation, de soins continus (USC), les soins intensifs, et les salles de soins post-interventionnels (SSPI) ont été regroupés en service dit de « soins critiques ». La capacité initiale de 13 lits a ainsi été étendue à 26 lits de soins critiques où tous les malades sont sous respiration artificielle.
Nous qui sommes par essence habitués à la pression, n’avons jamais rien vécu de tel, et sur une durée aussi longue. Tous ces malades sont atteints du coronavirus. À leur arrivée, ils ont tous les mêmes symptômes et les mêmes « images » spécifiques du coronavirus sur le scanner thoracique. Ils sont tous atteints d’une forme très sévère de Syndrome de Détresse Respiratoire de l’Adulte (SDRA). Contrairement aux informations initiales, le virus n’atteint pas que le poumon : il peut aussi toucher le cerveau et les reins. Plusieurs malades ont des atteintes cérébrales et rénales avec dans certains cas des insuffisances rénales aiguës nécessitant une dialyse. L’état inflammatoire favorise les thromboses veineuses et les embolies pulmonaires. L’obésité et les comorbidités associées (hypertension et diabète) sont des facteurs constants de gravité.
Nous prenons en charge à la fois des patients admis aux urgences mais aussi les patients hospitalisés dans nos unités Covid qui s’aggravent sur le plan respiratoire. Nous avons créé une équipe mobile intra-hospitalière qui évalue la sévérité de l’atteinte respiratoire et qui propose des solutions d’oxygénation à haut débit (type valve de Boussignac) pour éviter la mise sous respiration artificielle. Le but est clairement de réserver les lits de soins critiques aux malades les plus graves. Phénomène extraordinaire : les autres pathologies qui occupent habituellement notre service de réanimation ont complètement disparu !
Le rôle primordial des services de réa
Nous ne faisons pas que sauver des vies : le service participe aussi activement aux protocoles de recherche clinique en cours afin d’évaluer la pertinence des traitements comme l’hydroxychloroquine, les antirétroviraux, et certaines interleukines. Car le but est bien d’éviter que l’état des patients infectés par le virus soit si grave qu’il faille les suivre en service de réanimation ! Ce qui est finalement une autre façon de sauver des vies.
Malgré tout, dans cette période si intense et si trouble, le combat paie : des malades parmi les plus jeunes (moins de 60 ans) sortent vivants et sans séquelle de notre service de réanimation. Ce sont de vraies victoires pour toute l’équipe, qui n’ont pas de prix !
Cette épidémie aura en tout cas révélé au monde entier le rôle primordial des services de réanimation. Nous travaillons habituellement dans l’ombre, et nous voilà depuis quelques semaines en pleine lumière. Même en France, qui encore une fois a vu naître cette spécialité, elle n’est pas valorisée selon moi à hauteur du service médical rendu ; elle est notamment très coûteuse pour les établissements hospitaliers qui sont contraints de diriger leurs investissements humains et matériels vers les spécialités qualifiées de « rentables ».
La réanimation a globalement besoin de reconnaissance et d’investissements, car c’est l’un des garants de notre système de santé et de la sécurité des malades. L’avenir nous dira si la France saura tirer les conséquences de ses choix passés et proposer à l’avenir les arbitrages qui s’imposent pour la sécurité de ses concitoyens.
Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
Débat
Comment faire face à la mort d’un patient quand on est médecin ?
Enquête flash : les prescriptions sous influence… des patients
En partenariat avec France Info
C’est ma santé : le retour de la tuberculose
C’est vous qui le dites
« Si on forme trop de médecins, ils seront smicards »