La Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF, qui compte plus de 500 adhérents) a déposé plainte auprès du conseil départemental de l'Ordre des médecins des Bouches-du-Rhône contre le Pr Didier Raoult. Les infectiologues lui reprochent notamment d'avoir indûment promu l'hydroxychloroquine et enfreint sur plusieurs points le code de déontologie médicale, ainsi que l'a révélé « Le Figaro ».
Pas moins de 9 infractions citées
Selon l'argumentaire détaillé (6 pages) de la SPILF que « Le Quotidien » s'est procuré, le Pr Didier Raoult a bafoué pas moins de 9 articles du code de déontologie.
La société savante lui reproche en premier lieu d'avoir prescrit de façon délibérée de l’hydroxychloroquine « souvent associée à de l’azithromycine à des patients atteints de Covid-19 sans qu’aucune donnée acquise de la science ne soit clairement établie à ce sujet, et en infraction avec les recommandations des autorités de santé », peut-on lire.
Et si le premier essai clinique présenté par l'IHU de Marseille (dirigé par le Pr Raoult) a certes été autorisé, « la publication qui en a découlé n'a montré, contrairement à ce qu'il affirme, aucun bénéfice de ce traitement contre la Covid-19, que ce soit seule ou en bi-thérapie avec l'azithromycine », écrivent les scientifiques. Or si le médecin est libre de ses prescriptions, il doit le faire « dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science », stipule le code de déontologie.
Une com' sans réserves
La plainte souligne aussi que, en vertu de l'article 14, « les médecins ne doivent pas divulguer dans les milieux médicaux un procédé nouveau de diagnostic ou de traitement insuffisamment éprouvé sans accompagner leur communication des réserves qui s’imposent. Ils ne doivent pas faire une telle divulgation dans le public non médical ».
Or là aussi, selon la SPILF, tant dans le milieu médical qu'auprès du grand public, le Pr Didier Raoult et son équipe ont « systématiquement affirmé l'efficacité du traitement proposé, sans preuve scientifique ». Pis, l'argumentaire de la plainte considère que l'insistance à prendre publiquement position dans les médias pour défendre l’efficacité de l’hydroxychloroquine « contre l'avis des autorités de santé qui se sont prononcées selon les données acquises de la science, et contre les sociétés savantes concernées, pourrait relever du charlatanisme ».
Autopromotion
Autre règle dans la même veine dictée par le code (article 13) : le médecin qui participe à une action d'information du public ne doit « faire état que de données confirmées », « faire preuve de prudence » et avoir le « souci des répercussions de ses propos auprès du public ». Il doit aussi se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire.
Or, là encore, soutiennent les infectiologues, le chercheur marseillais, « par son autopromotion répétée » n'aurait pas respecté cette interdiction. Pire, par ses positions ou affirmations tranchées dans les médias – en avril que « l'épidémie était en train de disparaître », en juin, que « la décision du confinement comme celle des masques dans la rue ne reposent pas sur des données scientifiques établies, claires et démontrables » ou encore, en mai, que « l'hydroxychloroquine est le traitement de référence pour les pneumathies » –, le Pr Raoult aurait fait preuve d'imprudence, d'inconséquence des répercussions de ses propos et même de mépris de l'intérêt général.
Anticonfraternel
Ce qui irrite sans doute le plus la société savante, c'est l'attitude jugée anticonfraternelle du Pr Raoult. Sur la chaîne Youtube, le 8 avril, ce dernier affirmait que les médecins qui ne prescrivent pas son protocole à base d’hydroxychloroquine et d’azithromycine « sont fous » ou « ont fini d'être des médecins », peut-on lire dans l'argumentaire. « Il a répété à de multiples reprises que lui soigne tandis que les autres médecins ne le font pas », se désole la société savante.
Vis-à-vis de ses confrères ainsi accusés de ne pas soigner, le Pr Raoult n'aurait pas tenté de conciliation, loin s'en faut... « Mes détracteurs sont des enfants. (...) Je refuse de débattre avec des gens ayant un niveau de connaissance trop bas », confiait-il à Paris Match en mai 2020. Et devant la commission d'enquête de l'Assemblée le 24 juin 2020, le chercheur a utilisé « gratuitement les mots dégradants » de « blaireaux dans leur terrier », « achetés par l'industrie pharmaceutique », s'exaspère la SPILF.
Conciliation
Contacté ce jeudi par « Le Quotidien », l'Ordre départemental des Bouches-du-Rhône n'a pas été capable de répondre à nos sollicitations. La plainte devra être examinée par l'instance départementale qui proposera une conciliation. En cas d'échec, la plainte sera transmise devant la chambre disciplinaire régionale.
En 2018, le délai de traitement d'une plainte était de 10 mois en moyenne. Sur les 1 000 décisions rendues, 58 % n'aboutissent à aucune sanction. La sanction va de l'avertissement jusqu'à l'interdiction d'exercice selon la gravité des griefs retenus.
Interrogé jeudi par l'AFP, l'entourage du Pr Raoult a assuré qu'il n'avait jamais reçu aucune notification de cette plainte. Depuis le début de l'épidémie, la défense de l'hydroxychloroquine par le Pr Raoult a suscité de vives polémiques dans le monde médical et scientifique.