Voilà un rapport qui tombe à point nommé. Alors que les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) militent toujours pour leur intégration pleine et entière au sein des établissements de santé français (ils ont encore manifesté mercredi 12 février pour dénoncer le concours des EVC 2024), l’Ordre national des médecins (Cnom) dévoile en exclusivité au Quotidien une étude démographique fouillée sur la trajectoire des anciens Padhue. Autrement dit ceux qui ont décroché l’autorisation de plein exercice, au terme d’un parcours administratif parfois sinueux, et qui sont bel et bien inscrits à l’Ordre (situation arrêtée au 1er janvier 2025). « Il y a une polémique lancinante qui prétend que l’Ordre n’est pas force d’intégration des Padhue dans le système de soins. Nous rétablissons des vérités sur la base de données chiffrées et factuelles », confie le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom, aux manettes de ce rapport.
En une quarantaine de pages, ce bilan actualisé éclaire sur l’origine des diplômes, la répartition géographique, le mode d’exercice ou encore les spécialités les plus prisées par ces praticiens diplômés hors UE ainsi que l’évolution de carrière depuis 2010. Un audit démographique qui documente en particulier leur présence dans les zones fragiles et leur poids – parfois très significatif - dans plusieurs spécialités.
Au 1er janvier 2025, exactement 19 154 médecins Padhue sont inscrits au tableau de l’Ordre, exerçant ou non une activité, contre seulement 7 963 en 2010 soit une augmentation de 141 % sur la période (+ 11 191 médecins) ou encore une multiplication par 2,4 des effectifs sur 15 ans, ce qui atteste de la montée en puissance sur la période.
Bataillons précieux dans les déserts médicaux, notamment en Île-de-France
Sur le plan géographique, le rapport appuie la thèse selon laquelle les Padhue s’installent fréquemment, sinon majoritairement, dans les territoires sous-dotés en médecins et dans les hôpitaux périphériques, principalement en Île-de-France.
La carte ci-dessous de la répartition par département (réalisée par Le Quotidien sur la base des données ordinales) montre ainsi à quel point les anciens Padhue tendent à se concentrer dans la très grande région parisienne et dans tous ses départements limitrophes – y compris souvent dans des zones péri-urbaines ou rurales souvent qualifiées de déserts médicaux. Ils sont particulièrement présents dans le Val d’Oise, l’Aisne mais aussi l’Eure-et-Loir et l’Orne où ces ex-Padhue représentent respectivement 33,5 %, 32,7 %, 32,5 % et 31 % des médecins en activité régulière* ! Soit peu ou prou le tiers des praticiens actifs, toutes origines de diplômes, spécialités et tous modes d’exercice confondus dans ces territoires.
Parmi les médecins généralistes libéraux et salariés hors hôpital, l’Ordre confirme que les Padhue sont « davantage présents au sein des marges rurales en déclin » marquant leur apport à la problématique d’accessibilité aux soins au sein des déserts médicaux.
La région francilienne reste ainsi de loin la principale aire d’attractivité. Au total, 38,3 % des anciens Padhue ont posé leur stéthoscope en Île-de-France alors que seuls 20 % des médecins actifs (toutes origines confondues) exercent dans cette même région. « La proportion de Padhue en région parisienne est quasiment deux fois supérieure par rapport à l’attendu, c’est particulièrement notable », commente le Dr Jean-Marcel Mourgues. Or, contrairement aux idées reçues, cette région est concernée au premier chef par la problématique de désertification médicale, en ville comme à l’hôpital, ce qui confirme l’importance des bataillons de Padhue pour soutenir l’offre de soins.
À l’inverse, on trouve une proportion significativement moindre de Padhue dans les départements côtiers où la densité médicale est généralement considérée comme plus solide, comme le Var ou les Bouches-du-Rhône, ou le littoral atlantique.
Pourtant, si les anciens Padhue exercent plus volontiers que leurs confrères dans les déserts médicaux, ils ne sont pas suffisamment nombreux pour combler la pénurie de médecins dans les territoires sous-dotés.
Ainsi, leur contribution directe à la densité médicale est en réalité très variable. En Seine-Saint-Denis par exemple, les anciens Padhue ne participent qu’à hauteur d’environ 10 % à la densité de généralistes en activité régulière, toutes origines confondues. À l’inverse, le renfort des Padhue dans les territoires sous-dotés est plus spectaculaire parmi les spécialistes. Dans l’Eure-et-Loir par exemple, les anciens Padhue contribuent à hauteur de 47,6 % à la densité des spécialistes médicaux. Dans la Nièvre, ils participent même à hauteur de 54,8 % à la densité des spécialistes chirurgicaux, toutes origines de diplômes confondues ! C’est donc un renfort vital dans certains secteurs, comme l’illustre la carte de France interactive ci-dessous à dérouler pour la médecine générale, les spécialités médicales et chirurgicales.
Plus d’un tiers des gériatres sont des anciens Padhue
Leur répartition par spécialité (en effectifs actifs mais surtout en proportion au sein de chaque discipline) montre que les Padhue représentent parfois une part très conséquente des praticiens actifs de la qualification exercée. Ils constituent plus du tiers des gériatres en activité et près de 20 % des onco-hématologues. Ils sont également très représentés dans plusieurs spécialités chirurgicales comme la chirurgie viscérale et digestive ou la neurochirurgie.
À noter que la moitié du contingent des anciens Padhue se répartit entre une petite dizaine de spécialités : la psychiatrie (8,8 % des effectifs), l’anesthésie-réanimation (7,8 %), la radiologie (6,7 %), la pédiatrie (6,6 %), la gériatrie (5,9 %), la cardiologie (5,1 %), la gynécologie (4,4 %), l’ophtalmologie (2,8 %) et la pneumologie (2,5 %).
À l’heure de l’hyperspécialisation de la médecine, le renfort des Padhue est loin d’être négligeable, insiste le Dr Mourgues : « Prenez les cardiologues : parmi les médecins formés en France, on a une disparition des cardiologues dits “généralistes” capables d’exercer sur des patients adultes ou enfants, commente le vice-président du Cnom. Ceux formés à l’étranger sont, de mon point de vue, plus polyvalents. »
La médecine générale présente un résultat en trompe-l’œil. En effet, si près de 20 % des Padhue sont qualifiés en tant que généralistes (soit plus de 3 500 omnipraticiens actifs), ce contingent ne représente que 3,5 % de l’ensemble des généralistes en activité (tous modes d’exercice, tous diplômes). « Par rapport à l’ensemble des spécialités exercées par les Padhue, la médecine générale est finalement peu prisée, souligne le Dr Jean-Marcel Mourgues. Ils ne sont que 19,8 % à l’exercer alors que, toutes origines de diplômes confondues, 40 % des médecins inscrits à l’Ordre sont généralistes. »
38 % des Padhue diplômés en Algérie
Le rapport de l’Ordre révèle ensuite que les Padhue sont, pour plus de 70 % d’entre eux, diplômés de seulement cinq pays du bassin méditerranéen, d’abord en Algérie de très loin (38,8 %, 6 900 médecins) puis en Tunisie (15,1 %, 2 700 médecins). Suivent les médecins diplômés en Syrie, au Maroc et au Liban. Tous les autres pays (Madagascar, Russie, Bénin, Togo, Égypte, etc.) représentent moins de 4 % des effectifs de praticiens actifs.
Le salariat prédominant mais le libéral marque des points
Le rapport de l’Ordre apporte un éclairage sur le mode d’exercice privilégié des anciens Padhue. Le salariat (sous toutes ses formes, à l’hôpital ou hors hôpital) reste particulièrement prisé en 2025 puisqu’ils sont encore 61 % à exercer sous ce régime (et parmi ces salariés, 84 % sont hospitaliers) alors que, toutes origines de diplôme confondues, seuls 47 % des médecins en activité sont salariés.
À l’inverse, les anciens Padhue ne sont que 23 % à exercer en libéral exclusif, là où 43 % des médecins en activité ont fait ce choix. Pour autant, le comparatif sur quinze ans (2010 vs 2025) montre que les Padhue s’orientent désormais davantage vers un exercice mixte (+3,3 points) ou libéral (+3,6 points) sur cette période.
Enfin, le suivi longitudinal des primo-inscrits Padhue en 2010 éclaire la trajectoire de ces médecins depuis 15 ans. Alors que l’activité régulière (quasi-exclusivement salariée) était plébiscitée par les Padhue au moment de leur première inscription en 2010, cette proportion diminue au fil du temps. Certains choisissent par exemple un exercice intermittent/remplaçant au cours de leur carrière.
* La notion d’activité régulière n’inclut pas l’activité intermittente et le cumul emploi-retraite
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