LE QUOTIDIEN : Le projet de loi de santé a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale la semaine dernière. Que retenez-vous ?
Dr LUC DUQUESNEL : On a vécu deux semaines de généraliste bashing ! Je n'ai jamais connu ça, un tel dénigrement. Sur la délivrance de médicaments par le pharmacien sans ordonnance, on a tout entendu, y compris des fakes news disant que les généralistes ne prenaient plus en charge les cystites ou les angines. Les pharmaciens nous ont mis dans le lave-linge, les députés ont appuyé sur la touche essorage et cela a duré 15 jours. Sur le médecin traitant opposable [finalement écarté], clairement, c'est une tactique des députés : on agite des chiffons rouges et puis on enlève ce qui ne risquait pas de passer... On voulait aussi obliger les jeunes à aller dans les territoires où il n'y a plus personne, mais on marche sur la tête !
En revanche, je retiens le courage de notre ministre qui, accusée de corporatisme, a eu la lucidité de stopper toutes les mesures coercitives. Mais je crains qu'en cas d'échec des négociations conventionnelles, les parlementaires aient à nouveau envie de charger la barque des généralistes ! Le Dr Paul Frappé, nouveau président du Collège de médecine générale, doit remettre les pendules à l'heure lors du congrès.
Dans le cadre des négociations sur les assistants médicaux, la CNAM propose un financement sur la base d'un assistant pour trois médecins. Qu'en pensez-vous ?
L'assistant médical, comme la téléconsultation ou l'infirmière en pratique avancée, peut permettre de prendre en charge davantage de patients… Mais pas avec le modèle d'un assistant pour trois médecins proposé par la CNAM ! Les modèles qui fonctionnent à l'étranger se font avec un assistant pour un praticien. Un assistant employé 35 heures par semaine pour trois médecins, cela fait douze heures pour chaque praticien. Ça peut fonctionner pour des missions transversales ou administratives mais pas pour augmenter sa patientèle avec des objectifs précis, comme le demande l'assurance-maladie. C'est mal parti !
Quel est votre regard sur les négociations interpro concernant les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?
Là encore la situation est mal embarquée. Deux missions socles concernent particulièrement les généralistes : l'accès facilité à un médecin traitant et la prise en charge de soins non programmés. Sur ce dernier point, des expérimentations positives ont été présentées, comme dans le Grand Est où une consultation est majorée de quinze euros quand le médecin traitant voit son patient à la suite d'un appel du 15. Sauf que le directeur général de l'assurance-maladie ne veut pas majorer cette consultation sur tout le territoire ! Or, sans coup de pouce, les médecins ne verront pas l'intérêt à agir. En même temps, on ne peut pas rester sans réponses vis-à-vis de la population… La CNAM doit mettre les négociations à la hauteur des enjeux, sinon on ne pourra pas signer.
L'Ordre pointe une érosion du volontariat des généralistes libéraux dans la permanence des soins. Craignez-vous un retour de l'obligation de gardes ?
Non. À moins que l'on veuille faire descendre tous les généralistes dans la rue, ce n'est pas une bonne idée ! Il faut avant tout écouter le terrain. Très fréquemment, le désengagement des médecins est la conséquence de décisions unilatérales des agences régionales de santé (ARS) pour faire des économies et consacrer moins d'argent du fonds d'intervention régional (FIR) à la permanence des soins.
Il faut étendre la permanence des soins au samedi matin. En Mayenne, sur plus de 6 000 appels régulés le samedi matin par des généralistes, 33 % ont été adressés au médecin effecteur, et 15 % d'ordonnances ont été envoyées à la pharmacie de garde. Ce modèle améliore l'accès aux soins, limite le recours aux urgences et génère des économies. Les conditions d'exercice des généralistes dans ces territoires ruraux sont aussi meilleures : ils peuvent être en week-end dès le vendredi soir à 20 heures.
Quelque 8 000 actes de télémédecine ont été remboursés en six mois. Insuffisant ?
Je remarque que les généralistes ne sont pas accompagnés sur ce dossier. J'ai moi-même les mains dans le cambouis ! Il y a plein de plateformes mais comment définir les besoins de son propre territoire, faire le lien avec le logiciel métier, etc. ?
Aujourd'hui, nous sommes confrontés à des ARS, notamment en Pays de la Loire, qui ont conçu des plateformes pour les hôpitaux, inadaptées aux téléconsultations et télé-expertises en médecine générale libérale. Ces mêmes ARS viennent ensuite nous dire qu'on ne pourra bénéficier d'aucune aide pour l'achat de matériel si on ne choisit pas leurs solutions ! Ne nous étonnons pas du peu de téléconsultations réalisées !
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