« 80 % des données de vie réelle ne se trouvent pas à l'hôpital, mais dans les territoires, dans les CPTS, ce qui les rend difficiles à trouver », affirme Nicole Hill, directrice internationale du secteur santé chez Alcatel-Lucent Enterprise. Cette experte fait partie des acteurs du consortium Pleeade créé en janvier 2023. [HN1] Outre Alcatel-Lucent Enterprise, ce dernier a intégré les start-up Keenturtle et Hopsiia ainsi que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), via son département Santé Numérique CEA List dont le numérique est également une activité à part entière.
Vie réelle
Pourquoi un tel consortium ? Pierre-Yves Noël (en charge des solutions cloud chez Alcatel-Lucent Enterprise ) confirme les propos de Nicole Hill : « Nous sommes positionnés dans un axe de vie réelle. Nous pensons y apporter le plus de valeur possible. » Il n'y a que par la standardisation de ces données hospitalières aux standards internationaux qu'elles seront finalement prêtes pour être travaillées par l'IA. Sur cette étape, intervient Hopsiia avec sa capacité à connecter de nombreuses sources de données, ainsi que le CEA en tant que laboratoire de recherche du langage. Ensuite, l'IA entre en action en créant de la valeur pour chaque cas d'usage, via la génération d'alertes, l'identification de risques. Un autre acteur est embarqué lors de cette phase, keenturtle, spécialisé notamment dans l’iatrogénie médicamenteuse via sa plateforme Pharmaclass, déjà installé dans plusieurs hôpitaux. Enfin, une fois que l'information est finalisée, elle peut être diffusée en temps réel vers les professionnels de santé via la plateforme Rainbow. Au final, il s'agit un service dédié à l'expérience utilisateur qui aidera concrètement les soignants lors des réunions de concertation pluridisciplinaires. Trois sites hospitaliers sont en cours d'expérimentation et le déploiement sur plusieurs hôpitaux sera assuré en 2023.
Plus fort ensemble
À quoi sert un consortium selon Diane Charlotte Baillet, responsable de celui lancé par Docaposte, avec AstraZeneca et Impact Healthcare, Agoria Santé*, créé en 2021 : « On se rend vite compte que seul dans son coin chaque acteur autour des données de santé a moins de valeur qu'avec la force du collectif. Ce n'est qu'avec cette dynamique qu'il est possible de développer rapidement des usages des données de santé. » Cela permet à la fois de réduire les coûts d’utilisation de l'EDS et de mutualiser les compétences. « Si chaque acteur devait construire son propre entrepôt et sa propre solution d'appariement au SNDS, ce serait beaucoup plus complexe et couteux. » La spécificité d'Agoria Santé est d'accompagner des acteurs pharmaceutiques et les producteurs de données à développer des cas d’usages communs, et de leur apporter une solution technique d’EDS mutualisé pour réaliser les projets.
Étoffer les outils d'IA
Des avancées réelles sont attendues pour étoffer la palette des outils d'IA. En témoigne un autre consortium, cette fois soutenu par la BPI, Portrait, dont le chef de file est Owkin, date de mars 2023, est spécialisé dans la pathologie numérique et l'IA. L'alliance a été réalisée avec Tribun Health (qui développe un système de gestion des images), l'Institut Gustave-Roussy, le centre Léon-Bérard, Unicancer et le réseau de laboratoires privés Cypath basé dans la région lyonnaise. Avec un triple objectif pour cette plateforme : d'abord faciliter le développement d'outils IA pour pathologie numérique afin de créer un environnement de recherche collaborative entre data scientists et pathologistes. Ensuite, développer ces outils dans les dispositifs médicaux en vue d'une commercialisation avant la fin du consortium dans les cancers du sein, du poumon et pour la détection de biomarqueurs dans les cancers. Enfin, accompagner les pathologistes dans l'adoption de ces nouveaux dispositifs.
Catalogue
Un des plus vieux consortiums (créé en 2016), est le réseau sanitaire de Chu du Grand Ouest, Hugo. Son coordinateur est un des pionniers, Marc Cuggia. Suite à l'AAP de 2022, la stratégie d'Hugo est de créer de nouveaux EDS dans des centres hospitaliers de territoire, ici le CH de Lorient, le futur CH d'Orléans, le CHD de Vendée et le CH du Mans. Ce nouveau cadre va permettre de mutualiser une plateforme 2.0 pour poursuivre l'exploitation multicentrique des données. Le principe de fonctionnement n'est pas de centraliser ces dernières (voir article gouvernance), mais un catalogue où tous les producteurs de données restent des opérateurs. Les cinq projets de recherche sélectionnés par l'AAP sont la pharmacovigilance chez les personnes âgées, l'histoire naturelle des anévrismes intracrâniens, la prédiction des flux non programmés des urgences et la matériovigilance pour le suivi des prothèses orthopédiques en vie réelle. De nouveaux flux y sont intégrés : imagerie, signal, Smur, réa, anapath, DMI implantables.
Détection des cancers
Cinquième acteur, le groupe de cliniques privées Elsan. « La possibilité de constituer un EDS est arrivée comme un potentiel pour nous faire accélérer sur toutes nos activités, améliorer la politique de qualité dans les établissements mais aussi de santé publique, aller un cran plus loin sur toutes ces dimensions », explique Samantha Pasdeloup, directrice développement et partenariat chez Elsan. Outre les indicateurs de qualité des soins, le groupe souhaite améliorer son volet recherche. Fin juin, une alliance s'est nouée avec l’OncoDataHub, une plateforme de données de santé de vie réelle sur les médicaments et l’innovation en cancérologie fondée par Unicancer en 2021. D’autres partenariats sont noués au coup par coup en cancérologie avec Gustave-Roussy sur le programme « Interception » pour détecter les personnes à risque et proposer une prévention personnalisée comme avec la start-up Resilience pour la télésurveillance.
Responsabilité populationnelle
Le casse-tête est dans la collecte des données. Selon Robert Picard, délégué général de la Filière santé numérique (FSN), initiateur de l’AMI Filière santé numérique pour la circulation des données entre entrepôts de données de santé ; les travaux de la FSN et l’AMI ont permis de faire émerger le consortium Pleeade; il faut partir du terrain et notamment des grandes expériences territoriales menées par la FHF autour de la responsabilité populationnelle (voir DS 334 p. 21) et des initiatives menées dans les TIGAS (Territoires d’innovation grande ambition). La circulation maîtrisée des données est mise en avant par Pierre-Yves Noël (en charge des solutions cloud chez Alcatel-Lucent Enterprise). L'enjeu est de ne pas disrupter l'écosystème de l'établissement de santé : « Nous n’allons pas dire à l’hôpital de changer de logiciel car cela ne marche pas. Il faut se baser sur l’existant, soit les 200 plus grosses sources de données de l’hôpital et les 60 plus importantes au sein de l’Ehpad pour les collecter à la source, puis les exploiter depuis les entrepôts via des services numériques pilotés (SNP). »
Temps long de la recherche
Autre frein, le temps long de la recherche. Selon Diane-Charlotte Baillet, il faut compter un an entre le moment où l'on veut intégrer une base de données dans l'établissement et le moment où l'on peut réaliser un projet sur cette base appariée au SNDS, voire plus. Alors que les industriels ont en général des circuits de décision plus rapides, ils sont ici « soumis aux délais de l’assurance maladie pour étudier les données du SNDS et aux exigences de la Haute Autorité de santé, qui exige des données de vie réelle, mais ne les a pas toujours en temps voulu ».
Cnil, facilitatrice
Heureusement, pour Docaposte comme pour les autres acteurs, la Cnil qui a publié un référentiel sur les EDS en octobre 2021, a facilité les procédures en délivrant des autorisations qui permettent de raccourcir les délais réglementaires. Une manière de déléguer l'administration de l'EDS. « Les industriels vont pouvoir réaliser plusieurs projets sur une même base avec une procédure réglementaire simplifiée, et donc gagner en agilité, en qualité d'analyse, et en pertinence scientifique », ajoute Diane-Charlotte Baillet.
Concurrence ou partenariats ?
Quid de la concurrence entre ces premiers acteurs ? Pour Samantha Pasdeloup, « nous ne voyons pas les autres acteurs comme des concurrents, mais comme des partenaires essentiels. Nous sommes tout à fait ouverts à des promotions qui sont réalisées par d'autres acteurs académiques ». Les collaborations scientifiques seront réalisées en fonction des cas d'usage et des objectifs scientifiques avec différents types de promoteurs économiques ou industriels. Dans le cas d’études mobilisant les données issues de plusieurs EDS, l’essentiel sera de préparer les données de santé dans un format interopérable. Alors pour quel type de marché ? « Nous sommes au tout début de l'histoire, conclut Meriem Sefta. Tous ceux que vous voyez sont dans les starting-blocks. La compétition est bénéfique car elle crée le marché. C'est un potentiel énorme. Mais il y a encore de la place pour tout le monde. » Et de prédire. D'ici cinq à six ans, le marché sera consolidé, et une compétition féroce s'engagera sur les prix.
* Agoria Santé embarque deux laboratoires, Takeda et AstraZeneca ainsi qu'un petit cabinet spécialisé dans la e-santé, Impact Healthcare.
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