Quel est l'impact réel des téléconsultations sur l'accès aux soins en France ? Profitent-elles aux patients et aux territoires qui en ont le plus besoin ? Quel est le nombre de médecins, généralistes et spécialistes, ayant intégré cette pratique dans leur quotidien ? Quatre ans après l'explosion de la téléconsultation, propulsée par la pandémie, l’audit de la Cour des comptes révèle aujourd’hui sa place « limitée » dans le système de santé et souligne la nécessité de clarifier la stratégie de déploiement.
C'est la Commission des Affaires sociales du Sénat qui a demandé, en mars 2024, à la Cour des comptes d'évaluer l'impact des téléconsultations sur l'accès aux soins, la qualité des prestations et les conditions d'exercice des professionnels de santé. Un an après, les sages de la rue de Cambon publient les résultats dans un rapport critique de 150 pages (qui fait suite à deux précédentes moutures publiées en 2017 sur la télémédecine et 2021 sur la télésanté).
Perte de vitesse chez les libéraux
Premier enseignement : après l’essor fulgurant lié à la crise sanitaire, la téléconsultation a entamé un très net repli. De 18,6 millions d’actes en visio en 2020 (secteurs libéral et hospitalier), l’Hexagone est passé à 12 millions d’actes à distance en 2023 – un chiffre à comparer toutefois aux 140 000 téléconsultations enregistrées en 2019 lorsque la téléconsultation était résiduelle.
Chez les seuls omnipraticiens, entre 2020 et 2023, la part des téléconsultations est passée de 5,5 % à 2,2 % de l’activité, soit moins d’une consultation sur quarante ! En 2023, ils ont ainsi réalisé 229 millions de consultations physiques, 15 millions de visites et seulement 5,5 millions de téléconsultations, ce qui replace cette activité à distance à sa juste proportion.
Même érosion chez les spécialistes : la part des téléconsultations est passée de 3,6 % à 2,1 % de l’activité, avec une baisse de 40 % sur trois ans en volume. Fait marquant : les psychiatres concentrent à eux seuls la moitié des quelque 1,8 million de téléconsultations réalisées par les médecins spécialistes en 2023.
Cette même année, les téléconsultations représentaient seulement 1,4 % de l’activité de consultation des établissements de santé et 0,3 % de leurs actes et consultations externes. Ces niveaux sont très inférieurs à ceux constatés dans les pays nordiques, au Royaume-Uni et en Espagne, précise la Cour.
Côté financier, la téléconsultation ne pèse finalement pas très lourd à l’échelle des dépenses globales de soins : en 2023, l’Assurance-maladie y a consacré 266 millions d’euros de remboursement, soit à peine 3 % de l’ensemble des consultations remboursées. « Un coût modeste », souligne la Cour des comptes, à partir des données de facturation transmises par la Cnam.

Réticences syndicales
Comment expliquer que cet outil soit encore peu exploité ? Pour la rue Cambon, deux facteurs principaux entrent en jeu : d’une part, « la tendance des médecins à (…) pratiquer la téléconsultation principalement en situation de crise plutôt que comme une pratique intégrée » ; d’autre part, « les réticences, parfois fortes, de la plupart de leurs syndicats professionnels ». Sur ce dernier point, l’institution enfonce le clou. « Les médecins français et leurs syndicats se montrent plus critiques vis-à-vis de la télémédecine, plus particulièrement des actes réalisés par les plateformes de téléconsultation, que leurs homologues étrangers, peut-on lire. Selon certains de ces syndicats, si le médecin traitant peut prendre en charge certaines demandes de soins en téléconsultation, les sociétés de téléconsultation salariant des médecins risquent de désorganiser le système de soins, en incitant les médecins à moins s’installer en cabinet ou à les détourner du suivi de patients au long cours ». Une critique récurrente qui freine l’acculturation à cette pratique à distance.
En revanche, les téléconsultations facturées par les centres de santé ont bondi : leur nombre a été multiplié par sept entre 2020 et 2023. En cause précisément, l’essor des plateformes de téléconsultation. Stable pour les centres de santé (hors plateforme) autour de 385 000 en 2020 comme en 2023, le nombre de téléconsultations réalisées par ces sociétés est passé de 200 000 en 2020 à près de 3,8 millions en 2023.
Autre enseignement : cette forme de médecine reste « essentiellement urbaine et principalement francilienne », à rebours des objectifs initiaux. Les jeunes médecins urbains (de moins de 40 ans) sont beaucoup plus friands de la téléconsultation que leurs aînés puisqu’en 2021 ces actes représentaient 4,8 % de leur activité contre 2,5 % de celle de leurs confrères de 65 ans ou plus, rappelle l’institution.
Les zones prioritaires… oubliées
Plus grave, la téléconsultation semble avoir largement manqué sa cible. Car si la Cour des comptes reconnaît l’intérêt de la téléconsultation comme levier d’amélioration de l’accès aux soins, elle souligne les trous dans la raquette (zones fragiles et publics prioritaires). « Contrairement au principal objectif recherché, les téléconsultations ont jusqu’à présent eu un impact faible sur l’accès aux soins dans les zones d’intervention prioritaire », souligne-t-elle. À elle seule, l’Île-de-France concentre plus de la moitié des téléconsultations réalisées dans l’Hexagone, observe l’institution. « À l’inverse, les téléconsultations sont quasi absentes des zones rurales à habitat très dispersé (1,0 % des actes effectués dans ces zones) », est-il souligné.

La téléconsultation profite non seulement trop peu aux territoires en tension, mais aussi aux publics cibles théoriques puisqu’elle reste très majoritairement utilisée par une population jeune et urbaine. Comme l'avait déjà souligné la Cour en 2021, l'accès à la téléconsultation reste ainsi très limité pour les patients chroniques, les personnes âgées et celles en situation de handicap vivant dans des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi que pour les détenus des établissements pénitentiaires.
En revanche, les sociétés de téléconsultation semblent offrir une solution pour les patients sans médecin traitant, et dans une moindre mesure, pour ceux bénéficiant de la complémentaire santé solidaire (CSS) qui « recourent activement aux téléconsultations sur les plateformes », souligne l’institution.
Stratégie à clarifier
Pour ancrer la téléconsultation dans les pratiques et mieux accompagner les professionnels, la Cour des comptes préconise divers ajustements, en commençant par la gouvernance. La stratégie du ministère de la Santé « manque de clarté et la direction générale de l’offre de soins [DGOS] n’exerce pas suffisamment son rôle de chef de file », lit-on.
Les prochaines assises de la téléconsultation prévues cet été devraient offrir l’occasion de redéfinir le rôle de cette activité, son cadre de régulation et ses objectifs, y compris en réorientant les aides financières vers les zones fragiles et les publics prioritaires. La Cour préconise un suivi attentif de la politique d’équipement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou pour les établissements pénitentiaires. Elle recommande également de stabiliser le cadre juridique de la téléconsultation et de renforcer la régulation, en particulier concernant la prescription à distance et l’agrément des sociétés de téléconsultation.
Certaines modalités financières méritent d’être affinées. Une meilleure prise en compte des patients pris en charge à distance justifierait « d’autoriser la facturation de certaines majorations ou actes techniques aujourd’hui interdits en téléconsultation », lit-on. Des ajustements nécessaires pour que la téléconsultation devienne plus attractive pour les médecins.
La Cour souligne enfin que l'accompagnement des patients par les infirmiers reste insuffisant, notamment pour les actes techniques à distance. Elle recommande de mieux rémunérer les infirmiers et les pharmaciens pour leur rôle d’accompagnant en téléconsultation.
Des règles à assouplir dans les zones sous-dotées !
Dans les zones sous-dotées, les actes de téléconsultation en dehors d’un parcours de soins coordonné ne sont remboursés à 100 % que si trois conditions sont réunies simultanément : absence de médecin traitant, absence d’organisation territoriale (comme une CPTS) et résidence du patient en zone d’intervention prioritaire (Zip). Dans son rapport, la Cour des comptes propose de supprimer les deux premières conditions, jugées trop restrictives. Ainsi, un patient vivant en Zip pourrait bénéficier d’une téléconsultation même s’il a un médecin traitant ou s’il vit dans une zone pourvue d’une CPTS. Autre piste évoquée : relever le plafond actuel de 20 % d’activité en téléconsultation pour les médecins retraités, afin d’inciter davantage de professionnels à exercer à distance.
Dérives sectaires : une hausse préoccupante dans le secteur de la santé
Protection de l’enfance : Catherine Vautrin affiche ses ambitions pour une « nouvelle impulsion »
Dr Joëlle Belaïsch-Allart : « S’il faut respecter le non-désir d’enfant, le renoncement à la parentalité doit interpeller »
Visite médicale d’aptitude à la conduite : le permis à vie de nouveau sur la sellette