Aux États-Unis, le médicament n’échappe pas à la guerre commerciale

Publié le 16/05/2025
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L’administration Trump envisage d’imposer des droits de douane aux entreprises pharmaceutiques, qui en sont exemptes depuis trente ans, afin de faire baisser le coût des médicaments aux États-Unis.

Donald Trump veut privilégier la sécurité économique nationale

Donald Trump veut privilégier la sécurité économique nationale

L’imprévisible Donald Trump a encore frappé. « On va imposer des droits de douane aux entreprises pharmaceutiques et elles voudront toutes revenir au pays », a récemment lancé le président américain, avec pour effet de donner des sueurs froides à l’industrie, aux consommateurs ainsi qu’à l’ensemble du secteur de la santé. Depuis mi-avril, l’administration Trump procède à une enquête via le ministère du Commerce sur les importations de produits pharmaceutiques, au motif que la dépendance excessive à l’égard de la production étrangère de médicaments constitue une menace pour la sécurité nationale. Longtemps épargnés par les guerres commerciales car considérés comme étant d’une importance vitale, les médicaments pourraient cette fois subir des droits de douane de 25 %.

Cette mesure est destinée à faire baisser les prix sur le marché américain, l’objectif étant donc de rapatrier la production outre-Atlantique (voir encadré). Mais, pour certains experts, c’est le contraire qui pourrait se produire dans un pays où les médicaments coûtent déjà trois à quatre fois plus cher que dans d’autres États membres de l’OCDE. Une étude du cercle de réflexion Rand a ainsi montré qu’en 2022, les USA représentaient 62 % des ventes mondiales pour 24 % du volume. « En règle générale, les hausses tarifaires sont répercutées sur les consommateurs par le biais de prix plus élevés, corrobore auprès du Quotidien Joey Mattingly, pharmaco-économiste à l’université d’Utah. Dans le cas des médicaments sur ordonnance, les prix peuvent être plus importants pour les pharmacies ou les hôpitaux qui perçoivent un paiement fixe négocié de la part de la compagnie d’assurance. »

Pratique du funambulisme

Le périmètre des droits de douane constitue donc un enjeu important. S’appliqueront-ils sur les médicaments produits à l’étranger ? Sur les principes actifs qu’il faut importer, depuis la Chine et l’Inde essentiellement, pour fabriquer des médicaments aux États-Unis ? Toucheront-ils aussi les produits provenant d’Irlande, porte d’entrée au marché européen privilégiée pour sa fiscalité ?

Une imbrication et des interrogations qui contraignent les membres de la PhRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America, groupement de labos dans lequel on retrouve notamment Novartis, Bayer et Johnson & Johnson) à pratiquer le funambulisme : « Nous partageons l’objectif du président Trump de revitaliser l’industrie manufacturière américaine, a expliqué Alex Schiver, vice-président chargé des relations publiques de PhRMA. Les médicaments ont toujours été exclus des droits de douane car ils peuvent entraîner une hausse des coûts et des pénuries de médicaments vitaux. Nous sommes déterminés à collaborer avec l'administration tout au long de ce processus afin de garantir que l’Amérique reste le pays le plus attractif au monde pour la découverte et la fabrication de nouveaux traitements et remèdes. » Ce qui, selon plusieurs sources, n’empêcherait pas les laboratoires de tenter de négocier en coulisses des exemptions aux droits de douane.

Crainte d’une hausse de prix de 12,9 %

En attendant ce potentiel rapatriement de la production, une étude commandée par PhRMA et révélée par Reuters explique qu’une hausse de 25 % des droits de douane conduirait à une augmentation de 12,9 % du prix des médicaments aux USA. « Les médicaments génériques, qui représentent la grande majorité des ordonnances exécutées par les consommateurs américains, ont de faibles marges bénéficiaires et sont plus susceptibles de ressentir l'impact financier des droits de douane », a pointé Tom Kraus, vice-président de l’American Society of Health-System Pharmacists, qui représente les pharmaciens d’hôpitaux.

Le risque de pénurie de certaines molécules pourrait également augmenter. « Nous connaissons déjà des pénuries de médicaments, nuance toutefois Joey Mattingly. Cela pourrait-il aggraver la situation ? Peut-être à court terme, mais si cela stimule la production nationale, cela pourrait aussi avoir des effets bénéfiques à long terme. »

Nouvelle annonce tonitruante, cette semaine, qui reste à traduire en actes. Donald Trump a fait savoir qu’il signerait ce lundi 12 mai un décret qui, selon lui, permettra de réduire presque immédiatement les prix des médicaments sur ordonnance aux Etats-Unis de 30 % à 80 %. Sans précision sur les modalités…

Les labos répondent cash

Exemptés de droits de douane depuis trente ans, les labos ont amorcé ces dernières semaines un mouvement d'investissement et de relocalisation de la production aux États-Unis, premier marché mondial du médicament. Le géant britannique GSK a assuré que « des dizaines de milliards de livres sterling d'investissements sont prévus pour les cinq années à venir » outre-Atlantique. À l’unisson, son concurrent AstraZeneca s'est dit lui aussi « fermement engagé à investir aux États-Unis ». Le suisse Roche va engager 50 milliards de dollars (44 milliards d’euros) dans la production (sur cinq ans), Novartis 23 milliards de dollars et Johnson & Johnson 55 milliards de dollars dans la fabrication, la recherche et le développement. Quatre nouvelles usines américaines vont bénéficier de 27 milliards de dollars, a confirmé Eli Lilly en février.

De notre correspondant Clément Verstraete

Source : Le Quotidien du Médecin