Si vous avez été enceinte au Liban, il y a des chances pour que le nom du gynécologue-obstétricien Bahige Arida vous ait été murmuré par une de vos amies comme l’un des « bons » chez qui aller en confiance. « J’ai presque trente ans de carrière derrière moi », se félicite-t-il dans son petit bureau de l’Hôpital orthodoxe de Beyrouth, l’un des cinq principaux établissements de la capitale libanaise. Ce médecin de 62 ans n’a pourtant pas hésité à tout quitter pour partir en 2020, peu de temps après l’explosion au port de Beyrouth, qui a ravagé la moitié de la ville et tué plus de 300 personnes. En cause : la crise économique, que traverse toujours le pays, et qui battait alors son plein.
Son cas n’a rien d’isolé : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 40 % des médecins, soit environ 3 000 praticiens, ont fui le Liban, à partir de 2019, quand la monnaie nationale a commencé à dévisser face au dollar américain, vite devenu la monnaie officieuse du pays. « Avec la crise, mes revenus ont été divisés par dix. Les banques libanaises ont gelé tous les comptes (celles-ci autorisent depuis leurs déposants à des retraits mensuels d’un montant équivalent à 400 dollars, NDLR). Je n’avais pas d’argent à l’extérieur et mes enfants étaient toujours à charge : partir s’imposait », justifie-t-il.
Direction les États-Unis
Pour le Dr Bahige Arida, direction les États-Unis, dont il détient la nationalité et qu’il connaît bien : il a fait son internat au sein du Good Samaritan de Baltimore dans le Maryland et continue d’être l’un des rares gynécologues libanais à être certifié par l’American Board de gynécologie et d’obstétrique. « À la fin de mes études, j’aurais pu rester aux États-Unis. Mais j’ai toujours été très attaché au Liban », dit-il. En 2020, quand il commence à tester ses options, son CV parle pour lui : il est recruté par un établissement d’une petite ville de Pennsylvanie. L’euphorie ? Au début peut-être, mais il l’avoue sans détour : son rêve américain a été éprouvant. « Je recommençais de zéro : beaucoup de gardes, énormément de cas complexes qui s’enchaînaient, avec parfois des décisions délicates à prendre seul », témoigne-t-il en pointant notamment le problème de la responsabilité médicale, qui contribue à « stresser le médecin dans sa pratique aux États-Unis. J’adore mon métier, je n’ai jamais eu peur des challenges mais je n’étais pas heureux », résume-t-il.
Retour au Liban moins de quatre ans après
Il y a moins d’un an, il décide de rentrer à Beyrouth. Ses enfants volent maintenant de leurs propres ailes. Il se sent plus libre de ses choix. « Ai-je pris la mauvaise décision en partant ? », s’interroge-t-il toujours. L’hôpital orthodoxe, durement touché au moment de l’explosion du port, lui rouvre ses bras. « Quand j’ai décidé de rentrer, mes amis m’ont traité de fou : pour un Libanais, s’établir aux États-Unis est une consécration et un gage de stabilité ».
En tant que médecin, nous essayons de nous adapter : en tous les cas, personne ne quitte mon cabinet pour une question d’argent
Il n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir revenir : même s’il n’existe pas de chiffre officiel, les grands hôpitaux de la capitale font état, depuis quelques mois, de demandes de réintégration de la part de leurs anciens praticiens, désabusés par leur expérience étrangère. « J’ai cependant l’impression que certains m'assignent au rôle de “traître “parce que d’autres sont restés. En même temps, c’est peut-être ma propre culpabilité qui parle : partir n’a pas été facile », témoigne le Dr Bahige Arida.
De même que son retour. Pendant son absence, du fait de l’inaction des autorités libanaises, la crise s’est amplifiée, la population paupérisée. En moins de quatre ans, le PIB du pays a chuté de 40 %, faisant du krach libanais l’un des plus graves de l’histoire moderne selon la Banque mondiale. Une énorme contraction qui s’accompagne en plus de la désintégration progressive des structures institutionnelles du pays, à laquelle s’ajoutent désormais les premières conséquences de la guerre avec Israël, notamment le poids des 100 000 personnes déplacées de la zone frontalière, et l’impact démographique de la présence de réfugiés syriens, qui représentent un quart de la population. « Je n’ai évidemment pas retrouvé tous mes patients d’avant mon départ. Malgré tout, la situation s’est “stabilisée “. Ou peut-être s’est-on habitué. En tant que médecin, nous essayons de nous adapter : en tous les cas, personne ne quitte mon cabinet pour une question d’argent », conclut-il, heureux finalement d’avoir retrouvé ses repères et son Liban.
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