Dans un référé cinglant publié ce lundi 1er juillet, la Cour des comptes dresse un état des lieux désespérant du fonctionnement de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC, instance chargée du pilotage du DPC et de son financement pour les libéraux et salariés des centres de santé), contrôlée en 2018.
L'enjeu n'est pas mince puisque cette agence dispose d'un budget considérable de 190 millions d'euros en 2018, financé par l'Assurance-maladie (qui atteindra 204 millions en 2022).
Les buts assignés ne sont pas atteints
De façon générale, les « sages » de la rue Cambon constatent « de profonds dysfonctionnements dans le pilotage et le financement du développement professionnel continu (DPC) de l’ensemble des professionnels de santé, dont cette agence a la charge ». En dépit des réformes successives, les objectifs assignés (maintien et actualisation des compétences, améliorations des pratiques) ne sont pas atteints. La Cour est sévère : le DPC constitue aujourd'hui une obligation législative « largement non contrôlée ».
Le dispositif lui-même – offre référencée par l'agence – souffre de « flou » et d'un « encadrement inefficace ». Les orientations dites « prioritaires » – censées guider les actions de DPC proposées par les organismes – sont « beaucoup trop nombreuses », raillent les magistrats. Pour 2016-2018, on en compte 34 au titre de la politique nationale de santé, 354 par professions, 17 spécifiques au service de santé des armées soit… 405 orientations prioritaires ! Pléthoriques, elles sont également « souvent imprécises ». Ce cadre est donc « inopérant ».
Pour réajuster le DPC, la Cour recommande à l'agence de passer des marchés de prestations de DPC (par appels d’offres) afin de sélectionner les seules actions répondant à un besoin prioritaire. Une telle démarche n'a été enclenchée qu'une fois en 2014 pour l'expérimentation des personnes âgées en risque de perte d'autonomie (PAERPA) et pourrait l'être à nouveau en 2019 pour favoriser l'interpro. Deux fois en cinq ans : « Ceci apparaît très insuffisant », tonnent les « sages » pour qui le juste emploi des deniers publics commanderait une approche « beaucoup plus sélective ».
Au contraire, l'agence s'apparente à un « guichet ouvert » à tous vents, « dans l'impossibilité d'évaluer la plus-value du DPC et de son apport à la qualité et à la sécurité des soins ».
Un triple contrôle en échec
L'ANDPC est également épinglée pour son laxisme coupable. Les contrôles des actions de DPC sont jugés « particulièrement lacunaires ». La supervision de la formation est pourtant fondée sur trois niveaux : un contrôle administratif pour vérifier notamment l'indépendance financière des organismes vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique ; un contrôle pédagogique (par les commissions scientifiques indépendantes) du contenu des actions proposées ; enfin un contrôle a posteriori (avec un système de signalement des anomalies).
Las, la Cour des comptes relève des dysfonctionnements à tous les niveaux, confinant à l'absurde. Par exemple, « certains organismes de formation n'hésitent pas à multiplier les actions de DPC présentant le même intitulé au mot près afin de les engorger et ainsi contourner leurs contrôles », dévoilent les magistrats. Le verdict est sans appel. « Ce dispositif récemment rénové de contrôle n'a pas fait la preuve de son efficacité et ne s'avère aucunement à la hauteur des enjeux. » C'est la raison pour laquelle la Cour recommande de rendre publiques les conventions entre l’industrie pharmaceutique et les organismes de DPC. Autre recommandation : que l'agence du DPC puisse mener des contrôles sur place et sur pièces.
Financements généreux
Côté budget, le bilan est encore plus accablant. Les forfaits de prise en charge sont « très largement surévalués par rapport au coût réel des formations ». La Cour pointe des financements « généreusement distribués » sans vérification. Le manque de rigueur dans la gestion de l'enveloppe annuelle consacrée au DPC afflige la Cour, au même titre que certains syndicats de médecins libéraux.
Les magistrats estiment à plus de 100 millions d'euros le surcoût du DPC sur les cinq dernières années au titre des forfaits qui financent les actions de DPC des professionnels libéraux et salariés des centres de santé (remboursement de l'organisme de formation et indemnisation des professionnels). Le rapport minimise au passage les mesures « très limitées » prises pour endiguer les dérives (dégressivité, seuils et plafonds actualisés, rejet du financement des actions portant sur les médecines alternatives).
Maniant la litote, la Cour juge que les règles de gestion sont « particulièrement lâches puisqu'elles n'interdisent ni la prise en charge d'actions de DPC se déroulant à l'étranger, y compris hors Union européenne ni la multiplication, sous réserve d'un plafond annuel, d'actions de DPC par un même professionnel pour une même année ». Cruelle, la Cour cite des actions aux Seychelles, aux Maldives ou aux Bahamas… Des largesses qui avaient conduit à épuiser les enveloppes en 2015 et 2016, rappelle le rapport.
Dans la même veine, le DPC à distance (e-learning), qui représente tout de même le quart des actions de DPC suivies, manque lui aussi de transparence et de fiabilité (simples déclarations sur l'honneur).
Une agence qui n'a pas l'âge de raison
Dans ce contexte, la Cour des comptes estime que l'augmentation continue du budget du DPC (prévue sur la période 2018/2022) « ne peut qu'interroger ». Elle souligne que l'ANDPC est une jeune agence (six ans en y incluant la période OGDPC) qui souffre de « défauts de conception », d'effectifs « insuffisamment qualifiés » et d'une gouvernance pas assez claire (avec une multiplication des conflits de légitimité).
Parmi leurs recommandations, les magistrats suggèrent de limiter la prise en charge par professionnel à « trois actions par cycle de DPC » et de mettre en place un contrôle croisé pour éviter les doubles financements.
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