C’est l’âge de raison pour l’article 51. Sept ans après le vote de l’article éponyme du budget de la Sécu pour 2018, sont désormais regroupés sous cette appellation 144 innovations portées par des équipes soignantes engagées dans la création de parcours de soins coordonnés.
Accompagnées, testées au fil de l’eau et soumises à un financement dérogatoire, ces expérimentations ont franchi un cap en 2024, année qui a acté leur bascule (au compte-goutte) dans le droit commun du remboursement. Objectif : créer un cadre générique national calibré par « parcours coordonnés renforcés » (PCR), pouvant se déployer entre la ville, l’hôpital et le secteur médico‑social. Et, plus largement, conforter la transformation du système de santé, en passant si possible d’une logique de médecine individuelle à celle d’équipe de soins, du curatif au préventif et du paiement à l’acte aux rémunérations forfaitaires.
Le passage dans le droit commun ne signifie pas la fin de l’article 51. Le ministère de la Santé a mis à jour fin janvier un long vade-mecum, exhortant de nouveaux professionnels à passer le cap. Ce qui réclame du temps, voire de l’abnégation, au regard de la charge de travail que réclame un tel projet. Spécialiste du sujet, le cabinet de conseil Proxicare a énuméré, dans son dernier observatoire des financements innovants en santé, les principaux facteurs de réussite.
Bien choisir la nature de son projet
Jouer l’originalité mais pas l’excentricité, s’inspirer sans copier. Pas simple de se lancer dans un nouvel article 51 sans risquer de se faire retoquer par la tutelle sanitaire. Pour l’instant, seuls sept projets sont passés dans le droit commun : un dispositif pour prévenir le surpoids et l’obésité infantile ; un accompagnement renforcé à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie ; et cinq projets de télésurveillance (ex-expérimentations Étapes) sur les insuffisances cardiaque, rénale et respiratoire, le diabète et les prothèses cardiaques implantables.
Être aligné avec les enjeux de santé publique, tels que l’obésité, est gage de succès quand on est porteur de projet
Émilie Delpit, directrice associée de Proxicare
En plus de l’intérêt pour le patient, les médecins volontaires ont tout intérêt à miser sur les sujets prioritaires pour le ministère de la Santé. Il est donc pertinent de regarder la nature des derniers projets à avoir obtenu le précieux sésame : pathologies chroniques (diabète, maladies cardiovasculaires, maladies rénales ou respiratoires) ; pathologies en lien avec la santé mentale ; obésité ; pathologies et situations de santé liées au vieillissement. « Être aligné avec les enjeux de santé publique est gage de succès quand on est porteur de projet, analyse Émilie Delpit, directrice associée de Proxicare. Ainsi, la lutte contre l’obésité est très importante pour les pouvoirs publics. »
Pour être validé, un projet ne doit pas se contenter d’entrer dans des cases préexistantes. L’idéal est de « vendre » à la tutelle un modèle organisationnel neuf, une solution innovante à une difficulté récurrente de terrain, spécialement en soins primaires et sur des populations cibles. De fait, 89 % des expérimentations financent des activités et des parcours qui ne trouvent pas leur place dans les nomenclatures d’actes remboursables, rappelle Proxicare.
La coordination, c’est bien, le coordinateur de parcours, c’est mieux
Défendre de haute lutte un projet article 51 réclame du temps, que les médecins hospitaliers ont plus de facilités à trouver – en sanctuarisant par exemple un jour par semaine – que les libéraux. C’est la raison pour laquelle l’une des clés du succès est la délégation du volet administratif à une ou plusieurs personnes-ressources. Proxicare a fait ses calculs : trois quarts des expérimentations validées ont consacré une partie de leur financement à des activités de coordination, qu’elles soient assurées en interne (par des réunions rémunérées de l’équipe de soins de type RCP) ou en externe.
Le cabinet de conseil plébiscite cette deuxième option. « L’analyse des projets montre qu’une nouvelle fonction de coordination de parcours, présente et financée dans 70 % des projets à côté des prestations de soins, émerge et devrait s’imposer demain comme ressource clé des nouveaux parcours de soins une fois dans le droit commun », lit-on dans le rapport d’expertise. Ce dernier insiste sur l’aspect « largement déterminant » de la coordination dans l’agrément de la tutelle. Cette fonction ne doit pas faire peur aux médecins, exhorte l’associée-fondatrice Véronique Lacam-Denoël : « Le coordinateur ne fait pas du tout de soin, les praticiens doivent le savoir. Il est leur premier allié pour inclure et gérer les patients dans le parcours en projet, ce n’est pas un ennemi ! »
De son côté, le médecin engagé doit dépasser son aversion naturelle pour la paperasse et l’administratif. Et ne pas se formaliser à l’idée de travailler en symbiose avec un case manager, un infirmier de coordination, un référent de proximité, un coordinateur, un coordinateur de direction, etc.
Ne pas être corporatiste
Porter un projet article 51 réclame une forme de militantisme anti-silo et l’envie de travailler autrement. Sur les 87 expérimentations en cours, 74 intègrent dans leur financement des prestations qui sortent du giron médical : psychologues (presque un projet sur deux !), diététiciens, séances d'activité physique adaptée, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, pharmaciens, etc.
Le médecin doit surtout accepter de dire adieu au paiement à l’acte puisque les rémunérations dérogatoires sont dans l’ADN de cette réforme. Au total, 86 % des expérimentations prévoient ainsi un forfait par patient « facturable » par bénéficiaire inclus dans le parcours (capitation) – le montant de la rémunération étant directement lié au nombre de patients. Schéma plus complexe encore, mais validé par les pouvoirs publics : appliquer une part variable selon l’objectif à atteindre. Ainsi, le projet Cataracte (mené à Nantes et Limoges, sur la pertinence de cette chirurgie) prévoit rémunération variable par patient, en fonction des résultats sur les gains mesurables postopératoires. Le projet Baria-Up (accompagnement du patient obèse en amont d’une chirurgie bariatrique) prévoit, là encore, une part variable par population et le paiement d’un bonus lorsque les niveaux d’observance définis sont atteints.
Une taille raisonnable, ça compte
Paradoxalement, les médecins désireux d’intégrer, voire de porter un projet partent avec un handicap par rapport aux autres soignants. « Un médecin, spécialement un PU-PH, possède une culture clinique très spécifique, analyse Émilie Delpit. Pour lui, plus il y a de monde inclus dans une cohorte, plus on prend le temps, mieux c’est. Il aura tendance à transférer cette logique à son projet, ce qui n’est pas gage de succès, au contraire. » De fait, la volumétrie maîtrisée est un critère « déterminant » dans la capacité des équipes soignantes à aller au bout de leur aventure commune. « L'atteinte de l'objectif d'inclusion des patients peut potentiellement exercer une influence » sur la décision de la tutelle, confirme Proxicare.
Enfin, note le cabinet de conseil, mieux vaut faire davantage attention à la taille bien calibrée du projet qu’à son modèle économique, facilement amendable. Dit autrement : un projet mature mais de taille raisonnable aura plus de chance de succès qu'une usine à gaz aux objectifs démesurés.
L’article 51 en chiffres
• 144 projets autorisés (87 en cours, 57 à terme)
• Deux projets sur trois ont trait à l’exercice coordonné et à une séquence de soins
• Un budget moyen de 3,2 millions d'euros par projet
• 410 000 patients bénéficiaires pour une cible de 1,2 million
• Principales prises en charge : perte d’autonomie, reproduction, périnatalité et santé sexuelle, cancer, maladies du système lymphatique et hématopoïétique
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