LE QUOTIDIEN : Pour lutter contre les déserts, le Premier ministre, François Bayrou, veut imposer aux médecins jusqu’à deux jours par mois dans les zones les moins dotées. Bonne ou mauvaise idée ?
Dr FRANÇOIS BRAUN : Les propositions de ce plan sont essentiellement issues du Conseil national de la refondation (CNR) en santé. Ces deux jours de consultations avancées dans les zones sous-denses – encore faut-il bien les définir – ont le mérite de traiter le sujet. Et qu’on arrête de dire qu’un désert médical est défini par un nombre insuffisant de médecins par rapport au nombre d’habitants. C’est totalement idiot ! En ce sens, la proposition de loi Garot sur la régulation à l’installation est une absurdité totale. Peut-être que l’on reviendra sur la définition de ces déserts en y intégrant le nombre de consultations par an en moyenne par habitant. Car ce qui est important, ce n’est pas le nombre de médecins mais le temps médical ! Le tout en tenant aussi compte du partage ou du transfert de compétences avec les autres professionnels de santé. Je reste attaché à cette obligation collective d’engagement pour l’accès aux soins dans les territoires – que les syndicats médicaux avaient refusée début 2023, faisant échouer les négociations conventionnelles –, dont la charge de répartition pourrait être assurée par les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Si les médecins n’en veulent pas, le Premier ministre met en avant l’obligation individuelle. Quelque part, c’est logique.
La régulation à l’installation des médecins n’a jamais été si proche d’aboutir. Craignez-vous que cette fois-ci soit la bonne ?
C’est catastrophique ! Mais j’avais prévenu les syndicats de médecins, après m’être battu au Parlement pour éviter – de peu – l’adoption de cette proposition de loi [le député en a déposé plusieurs depuis 2018, NDLR], pendant mon mandat. Je leur avais dit : le texte reviendra parce que Guillaume Garot est un ayatollah de la contrainte à l’installation. Et aujourd’hui, ça peut passer. C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir allumé le contre-feu du pacte Bayrou, qui contient plein d’autres solutions.
Votre credo favori quand vous étiez ministre était de rappeler aux médecins leurs « droits et devoirs ». Que leur dites-vous aujourd’hui ?
Prenez-vous en main ! La population française ne peut pas accepter la situation actuelle sur l’accès aux soins. Il faut expliquer que la médecine de demain n’est pas celle d’hier. Il n’y aura plus un généraliste dans chaque village, un service d’urgences dans chaque ville. Les professionnels de santé doivent prendre les choses en main à l’échelle de leur territoire. Il y a, en réalité, plein de solutions issues du CNR santé : utilisons-les, et vite, car nous avons perdu deux ans. Rien n’a été fait depuis en raison de la succession des ministres tous les trois mois. Je plaide pour de la stabilité, avec le maintien du même gouvernement au moins jusqu’en 2027, pour qu’on puisse avancer.
Près de trois ans après votre mission flash, les urgences risquent encore d’être à la peine cet été. Comment jugez-vous la situation ?
Il y en a marre d’entendre les urgences réclamer en permanence plus de lits et de personnels. Il faut plutôt que les urgentistes se concentrent sur leur métier et acceptent qu’une grande part d’activité relève des soins non programmés et non des urgences. Reste cette histoire d’aval des urgences. Beaucoup disent qu’il faut utiliser l’indicateur du besoin journalier minimal en lits (BJML), que j’ai moi-même longtemps défendu. Ce discours pouvait tenir il y a dix ans, plus maintenant. Si les hôpitaux ont moins de lits dans les services hors urgences, ce n’est pas parce qu’on en a supprimé mais parce qu’ils se sont réorganisés et font plus d’ambulatoire. Le problème, c’est de savoir qui prend en charge les patients polypathologiques. Pour cela, il faut des services de médecine polyvalente en aval des urgences. La Dr Catherine Le Gall l’a très bien réussi à l'hôpital d’Argenteuil avec un grand service de 40 lits, où la durée de séjour des patients est de trois jours. J’avais incité Emmanuel Macron à promettre qu’on allait régler la saturation des urgences en décembre 2024. Et je reste convaincu qu’on aurait pu le faire en suivant cette ligne directrice : réguler en amont par téléphone ou par la médecine générale de ville ; réorganiser en interne en s’appuyant sur les infirmières en pratique avancée ; et surtout, changer de paradigme en aval en arrêtant de s’accrocher au BJML.
Vous êtes le père du service d’accès aux soins (SAS). Mais trois ans après le lancement, le compte n’y est pas sur tout le territoire. Pourquoi ?
Parce que vous avez des hommes et des femmes qui bloquent, des généralistes qui ont peur de se faire bouffer par le Samu et des Samu qui ont peur de se faire bouffer par les généralistes. C’est infernal. Poursuivons le déploiement des SAS, mais aussi des filières psy et médico-sociales. À Annecy, j’ai visité un centre de régulation qui gère à la fois les appels au 15 et au 18. Cela semble curieux de premier abord car vous avez quatre pompiers dans un coin et 20 professionnels de santé dans l’autre. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont intégré la Croix-Rouge, qui gère de son côté le médico-social. C’est une bonne idée.
Selon la Cour des comptes, les urgences sont « l’exutoire de tous les dysfonctionnements de notre système de santé ». D’après le ministère, la durée moyenne de passage aux urgences est de plus de cinq heures. Que conseillez-vous ?
Ce n’est pas l’exutoire mais la partie émergée de l’iceberg. Je suis inquiet de la réaction de la population, qui trouve normal d’attendre cinq heures aux urgences. Non, ce n’est pas normal. Quand je suis allé à Strasbourg, une ambulance a attendu sept heures trente dans le sas sans pouvoir décharger le patient. Sept heures trente ! Et maintenant, on nous dit que ça va mieux quand on n’attend que deux heures. Le problème, aux urgences, c’est la surcharge de travail. Les soignants ont le nez dans le guidon. En visitant un service, j’ai constaté qu’on y faisait de la médecine générale qui relevait du service de psychiatrie parce qu’il n’y avait personne d’autre pour la faire. Ce n’est pas le job des urgentistes. Il faut recentrer les services d’urgences sur leur raison d’être.
Les médecins diplômés hors Union européenne (les Padhue) sont en rogne depuis la suppression de postes aux épreuves de vérification des connaissances (EVC), seule voie pour obtenir une autorisation d’exercice et une régularisation. Comprenez-vous leur colère ?
Attention à ne pas faire n’importe quoi sur les niveaux de compétences. Le système des EVC est bon mais soyons attentifs à ne pas fermer la porte à des praticiens qui obtiennent des notes tout à fait acceptables et qui exercent déjà dans un service hospitalier où ils donnent satisfaction. Il faut trouver un équilibre, spécialité par spécialité, en fonction des besoins. Ouvrons par exemple des postes en psychiatrie et en gériatrie et, dans ce cas, transformons le concours en examen, mais en maintenant toujours un principe de note éliminatoire. Parce qu’il faut se méfier des hôpitaux qui ne misent que sur les Padhue pour tenir debout.
La politique vous manque-t-elle ?
Être passé au gouvernement m’a laissé des séquelles. L’une d’entre elles est que, maintenant, je m’intéresse à la politique ! Je suis un inconditionnel de l’émission de Benjamin Duhamel sur BFM-TV, « C’est pas tous les jours dimanche ». Quand j’ai une idée, je m’interroge sur comment la faire aboutir, en quelques années, avec des échelons qui permettraient de la rendre visible. J’ai changé ma façon de voir les choses.
Et député, ça vous tente ?
Je n’ai jamais demandé à être ministre. Quand je suis parti, je n’ai rien exigé non plus. C’est mon sale caractère : je ne demande jamais rien. Les responsables politiques savent que je continue à m’exprimer. S’ils veulent venir me chercher, je suis open, mais j’ai des lignes rouges. Je tiens à ce qu’il y ait une loi de programmation en santé, qu’on conserve la liberté d’installation des médecins et, sur la fin de vie, je suis opposé à l’euthanasie en tant que tel.
Projet de loi sur la fin de vie : « une honte »
François Braun juge le texte du gouvernement sur la fin de vie « très mal ficelé ». « C’est une honte ! » jette l’ancien urgentiste, qui interroge : « Comment, en tant que soignant, peut-on s’engager pour donner la mort ? » François Braun est favorable à un référendum sur le sujet, « à condition qu’il y ait, en amont, un débat ouvert qui permette d’informer correctement la population ». Ce qui, selon lui, n’a pas été le cas lors du « simulacre » de la convention citoyenne sur la fin de vie.
Repères chronologiques
24 août 1962 • Naissance à Belfort (Franche-Comté)
1979 • Entrée à la faculté de médecine de Nancy
1986-2009 • Chef de service et chef de pôle à l’hôpital de Verdun, puis chef des urgences du CHR Metz-Thionville
2014 • Président du syndicat Samu-Urgences de France, réélu en 2020
2022 • Référent santé d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle
Du 4 juillet 2022 au 20 juillet 2023 • Ministre de la Santé et de la Prévention
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